Deux ans de route

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Il y a deux ans, ma mère prenait cette photo avant de me regarder m’éloigner, à la gare de Toulouse. J’ai l’air fatiguée, déboussolée, pas très sure. Les (nombreux) préparatifs de dernière minute, ma copine a consolé après sa rupture, mon envol pour un pays tant rêvé… me laissent perplexe. Mes deux sacs bleus, déjà bien trop lourds me pèsent, confirmant l’idée que l’improvisation sera de mise en Océanie. « Une robe, un jean ? On ne sait jamais… j’en aurais peut-être besoin pour bosser ».

Il y a deux ans je partais pour la Nouvelle-Zélande. Je quittais l’hiver pour prendre une bouffée de chaleur à Singapour, en transit pour quelques jours. J’ai du m’acclimater au décalage horaire, m’adapter à mon hôte sur Auckland et briser mes peurs de voyager seule. Car même avec l’envie d’aller de l’avant, de parcourir le pays à coup de pouce et de rencontres locales, mes premières semaines se sont déroulées coller à des compatriotes. Il m’aura fallu partir en roadtrip avec deux personnes qui n’avaient pas les mêmes envies que moi, pour que je prenne finalement mon envol. Je les ai quitté, ai sauté en parachute et grimpé le Mont Ngaruhoe, me donnant le coup de pouce tant espéré. Et puis j’ai grandi.

Je ne sais pas s’il est l’heure des célébrations, du bilan ou d’une bougie à souffler aujourd’hui. Penchée sur le livre de Marlo Morgan, “Mutant message down under”, qui relate le récit de son aventure dans l’Outback australien au cœur d’une tribu aborigène, une phrase attire toute mon attention: “nous ne fêtons pas une année de plus, nous fêtons le fait qu’une personne soit devenue meilleure”. Ce qui m’amène à me demander ce que je suis devenue après deux années sur la route.

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La découverte. Intense, nouvelle, différente. J’ai appris à vivre au jour le jour, à me réveiller le matin et à me demander ce que j’avais envie de faire et suivre simplement cette envie. J’ai appris à me détacher des choses matérielles, mais à me rattacher à des expériences. J’ai affronté quelques peurs, pousser des barrières, tendu le pouce à travers un pays. J’y ai rencontré des gens fabuleux, des sourires. J’y ai poussé des soupirs aussi, désespérée par ces âpres de politesse me rendant amère.

Je m’y suis rendue avec des yeux d’enfants, émerveillée par des montagnes humbles et grandes, des cétacés géants. La faune et la flore m’ont convaincu d’aller plus loin encore. Baleines, pingouins, phoques, kangaroos, platypus… Marchant sur les chemins de Tasmanie, je m’arrête admirant ce serpent d’un noir intense, qui vient de me filer la chair de poule. Je m’extasie devant ce bébé wombat qui s’y suit sa mère au plus prêt, hume l’air à l’instant intensifié par un feu de forêt lointain. Ces deux années m’ont permis d’être plus proche de la nature, plus compréhensive, plus attentive, m’éloignant peut-être de l’humain.

IMG_5773Fuyant à fond les relations pouvant m’éloigner de mes aventures, je reste froide, impassible. Je souris plus certes, mais prête moins attention. Je ne demande même plus leurs prénoms.  Moi qui accordait beaucoup de temps à ces détails, ils me filent entre les doigts. Je mélange les histoires, radote, devient sauvage et m’écarte des voyageurs comme moi. J’ai l’impression d’être devenue égoïste, impatiente. Aigre de recevoir tout le temps et ne pas pouvoir donner autant, la culpabilité me ronge et me forge une carapace digne des personnes exécrables.

Je me suis demandée s’il ne fallait pas que je rentre. Pour retrouver une structure, des gens que je connais depuis longtemps, qui pourront peut-être m’aider à canaliser ma colère, retrouver un équilibre entre mouvement et paresse. Je me suis demandée si c’est l’Australie qui me rendait comme ça… un pays si grand, où l’Angleterre a trouvé le moyen d’y refourguer ses prisonniers et d’y déraciner la plus vieille civilisation du monde.
Je me suis demandée si je n’étais tout simplement pas fatiguée, usée à bouger tout le temps dans un lieu différent, épanchant ma soif de nouveautés et d’expériences.

Quand j’y repense, durant cette dernière année… le plus long que je sois restée en un seul lieu fut trois semaines. Alors non, je n’ai rien à me prouver. J’ai juste envie d’en savoir plus, voir plus, toujours plus. Pas de choc culturel… mais l’épuisement par le mouvement. Je suis en accord avec mes pensées, développe ma créativité tout au long de mon voyage et adore me poser devant un paysage. Le truc c’est que j’en veux toujours plus et que je n’arrive pas à me satisfaire du présent. J’envisage la suite avec impatience et me prend les pieds dans mon imprudence.
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Deux ans donc… deux ans qui font ressortir ce que je voulais apaiser à travers mon voyage. Deux ans qui auraient du me permettre de me raccrocher à des rencontres, mais qui m’en éloignent. Deux ans impatients qui me disent qu’à 30 ans, j’en serai peut-être toujours au même point, sans ancre, sans racines, sans pied à terre pour me permettre d’apprécier chaque instant à plus de 100%.

6 Comments on “Deux ans de route

  1. Coucou ma belle!
    Ton article est sublime!! Profites de voyager et de découvrir le monde, on ne sait pas de quoi demain sera fait!!!
    Ne te focalise pas sur la colère mais sur l’émerveillement de tes voyages! Tu as une chance inouïe de faire ce que tu fais! Et je t’admire car je n’aurai jamais pu partir toute seule sans aucun point d’encrage a l’arrivée!
    Bisous

  2. Magnifique. Jme reconnais vachement et je trouve que tu evoque 1 truc important… on se croit tous plus inteligent qur les autres parfois.. mais moi je pense que le voyage… notamment en australie.. m’a rendu plus superficiel, egocentré…et ca s’empire… jcrois que jcalcule plus vraiment les gens. Jpasse juste des bons moments… mais jcrois que j’ai appris a m’apprécuer comme ca. J’espere que c pas « mutant message down under » qui nous a rendu comme ca ! La grosse claque ce boukin !

    • Merci pour ton passage Flo. Tu penses que c’est ton expérience en Australie qui t’a rendu comme ça ?
      Le problème c’est que je n’aime pas les relations « superficielles », les rencontres courtes et nonchalantes.
      Je suis quelqu’un qui s’attache, qui aime créer quelque chose avec les gens qu’elle rencontre. Et être nomade ne m’aide pas à trouver cet équilibre, j’imagine. C’est peut-être pour ça que je me sens plus égoïste. Suivre ses envies pousse aussi ce côté à outrance.

  3. Pingback: Moi aussi, j'ai honte de prendre l'avion - Mondalu

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