Updated on octobre 9, 2019
La peur de revenir
L’autre jour, le week-end avant les vendanges, j’ai profité d’une escale à Paris pour participer à la journée du voyage organisée par Evaneos.
J’ai assisté à deux superbes conférences, dont l’une m’a vraiment marquée. D’un côté, Philippe Gloaguen, fondateur du célèbre Guide du Routard, nous comptait ses histoires tintées d’humour. De l’autre, les acolytes de Nus et Culottés nous parlaient de leurs aventures avec des mots simples et à portée de tous. Lors de cet échange, la dernière question posée réussit à me faire monter la larme à l’œil. Cette jeune demoiselle, à peine rentrée d’un tour du monde en amoureux, leur demandait d’une voix ensanglotée, comment Nans et Guillaume avait géré leur retour après deux ans de voyages à l’étranger.
C’est là que je compris. Compris pourquoi cette conférence m’avait procurée autant d’émotions. Compris pourquoi je reste impassible aujourd’hui devant toutes ces personnes qui partent, et qu’au fond j’envie tant. Je suis la première à dire que le voyage est accessible à tout le monde, et qu’au lieu de m’envier, il suffirait simplement de s’en aller.
Mais voilà, le plus dur pour moi n’est pas de partir, mais bien de revenir.
L’envie d’aller revivre un an à l’étranger, de rencontrer des gens différents, de se plonger dans une autre culture et de s’imprégner de cette sensation de liberté si intense au départ, est bien là. Cette excitation, cette idée que tout est nouveau et que tu pars enfin pour l’aventure, est géniale ! Les surprises qui t’attendent, cette impression de faire un saut à l’élastique alors que tu as toujours les pieds sur terre, de te sentir pousser des ailes… c’est extra. Mais voilà. La peur du déchirement est là. Celle que tu appréhendes quand approche la fin de ton escapade d’une année. Celle que tu vis vraiment quand tu rentres au bercail, quand tu retrouves tes amis de longue date, mais dont tu as l’impression d’être à des milliers d’années tellement tu as changé, grandi, vécu des « trucs de ouf » que tu ne pourras jamais partager avec eux, parce que les mots te manqueront, parce que les photos ne suffiront plus, parce que tes proches t’envieront ou te diront « et alors ? ». Je ne sais pas. Je ne sais pas si changer de pays, voire faire un tour du monde atténuent la chose. Je ne sais pas si vivre quelques semaines par ci par là te permettent de rester les pieds sur terre. Comment faire pour que le « retour à la réalité », comme les gens le disent souvent, soit moins brutal? Car au final, c’est le retour à TA réalité à toi que tu dois affronter. C’est toi que tu dois reconstruire dans un monde qui t’était pourtant si familier avant de partir. Toi, l’étranger dans ton propre « chez toi », qui ne l’est plus finalement… car tu te sens forcément un peu plus « citoyen du monde » maintenant.
Oui. A mon retour du Canada, ce fut le drame. Je racontais avec enthousiasme à ma famille, mes amis, les yeux plein d’espoir ma vie là-bas, la culture que j’y ai rencontré, les préjugés que j’y ai laissé. Je ne parlais que de Montréal, cette ville dans laquelle j’avais pourtant connu un choc culturel, mais qui finalement m’étais plus familière alors que Toulouse, ma ville natale. « Montréal, Montréal »… J’avais l’impression de les saouler. Je le voyais dans leurs regards que je devenais agaçante à déballer ma chance d’être partie là bas. J’ai bien cru que c’était l’envie… mais finalement j’ai compris que tout le monde s’en foutait. J’avais l’impression qu’ils étaient contre moi et que personne n’avait plus l’envie d’écouter ce que j’avais à raconter. Pourtant ce voyage, je l’ai fait pour moi, je n’avais pas besoin de reconnaissance. Alors je me suis renfermée. J’ai construit mon monde à moi. Je regardais mes photos régulièrement à chaque fois que j’avais une baisse de moral. Je ne rêvais que de Montréal, de repartir là-bas retrouver cette liberté car je me sentais enfermée. Enfermée dans ce moule que mes amis m’imposaient, enfermée dans un moi qui ne l’était plus, dans une ville qui m’était inconnue. 1 an… 2 ans… 3 ans. Je ne sais pas de combien de temps j’ai mis pour m’en remettre. Je ne suis même pas sure de m’en être remise complètement. La perte de mes photos m’a carrément assommée. C’est tout ce qui me restait de là bas… avec mes souvenirs, bien sûr, de plus en plus lointains. Aujourd’hui encore, rien que le fait d’écrire ces propos me cabre. A nouveau j’ai l’impression de vous agacer. Mais ce n’est plus de la joie que j’étale au grand jour lorsqu’on me parle du Québec, mais bien de la tristesse ou de la mélancolie… Je n’ai même plus envie d’y aller. J’aurais trop peur d’être déçue. Déçue d’avoir idéalisé cet endroit qui n’a pourtant fait partie de ma vie qu’un an. Une année pleine d’émotion, qui m’aura poussée à me tourner vers le voyage et ses rencontres inédites.
Alors j’ai beau peser le pour et le contre. L’envie de repartir est bien là, depuis plus de 5 ans. Certes je pars de temps en temps sur de courtes périodes, mais ce n’est pas la même chose que d’aller s’installer un an ailleurs, partir vivre à l’autre bout du monde des choses différentes, ou simplement renaître. Aujourd’hui, c’est bien la peur du retour qui me retient, alors que je ne suis pas encore parti et que je sais que ça en vaut forcément la peine. Alors pourquoi revenir ? J’y ai pensé. Mais ce que j’aime dans le voyage, c’est ce côté imprévisible.
Vous trouverez peut-être cet article brouillon, mais ce ne sont que des mots posés au hasard d’une émotion. Peut-être vous retrouverez-vous dans certains paragraphes. Peut-être ne comprendrez-vous pas comment l’on peut s’empêcher de partir à cause d’une simple appréhension du retour… ça m’est égal. Si vous avez des idées, des paroles à échanger, des écrits à dessiner, on ne sait jamais. Peut-être que le déclic me viendra de vous.
Coucou!!! Le ou les voyages que tu as eu la chance de faire te permettent de t’évader de ta vie de routine qui ne te convient a mon avis pas forcément. La vérité est que tu es un atome libre qui recherche la liberté. Tu n as pas encore réussi à trouver ton univers qui te permettra de te poser une bonne fois pour toute, mais la je m égare…… Pour finir, tant que tu sentiras le besoin de voyager, de rencontrer des personnes avec d autres idées et coutumes, pourquoi ne pas le faire si tu peux et si tu veux? La vie est trop rapidement passée pour ne pas en profiter..,., je suis l opposé de toi, l envie est la mais la réalité me rattrape et m empêche de pouvoir le faire..,, alors le mot de la fin, vis ta vie de liberté tant que tu peux le faire!!! N.F
Merci pour ton commentaire Nicolas. Qu’est-ce qui t’empêche de pouvoir voyager ? Je pense qu’il n’est jamais trop tard 😉
Les responsabilités de la vie, ma petite femme 😉 et peut être mon manque de folie sont les facteurs qui font que l aventure reste dans mes pensées et y restera un bon bout de temps avant peut être un déclic, un brin de folie qui me fera bouger.
Hm un article brouillon peut-être, mais un article sincère…
Revenir n’est jamais simple en effet. Pour mille raisons. Celle que tu évoques ici est une des principales: se confronter à son ancien monde. Je me suis pour ma part dit que ceux qui ne me comprenaient pas et n’acceptaient pas ce nouveau moi n’avaient tout simplement plus à faire partie de ma vie, ou du mois n’avaient plus à avoir la même place. Pour moi seule la durée permet de mesurer les liens d’amitié entre les gens, un long voyage au milieu permet de faire le tri plus rapidement…
Il y a tant de choses à dire encore.
Si ça peut t’aider, voici le lien d’une émission qu’on a justement enregistré à ce propos: http://www.curieusevoyageuse.com/les-retours-de-voyage/, en espérant que cela t’aide dans cette réflexion!
Tant de choses à dire et si difficile à partager ou à écrire. Il est vrai que je me suis pas mal éloignée de mes « amis » suite à ce voyage, ce sentiment d’être incomprise étant trop intense.
Merci pour le lien en tout cas. J’ai eu l’occasion de rencontrer Jonathan (de http://www.voyagecast.ch) sur le Grand Bivouac. Je me ferais donc un plaisir d’écouter l’émission à tête reposée.
Un bel article très sincère.. Il y a un moment pour partir, un moment pour revenir: chaque chose en son temps… Si tu te sens pousser des ailes, voles! Tu sauras bien atterrir le moment venu si tu sens l’envie de revenir. Et si cette envie ne vient pas..? Après tout, citoyenne du monde, tu peux te sentir partout chez toi, quelle chance!
Partir avec une aile blessée semble difficile pour l’instant. Mais il va bien falloir que je finisse par prendre mon envol. Merci Solène pour tes encouragements.
Je m’incruste dans la conversation même si je ne devrais pas me sentir concernée : je suis encore en voyage, même pas au cinquième de l’année que je me suis fixée, et pourtant, je sais déjà que le retour va être difficile.
Mais je souhaitais partager l’expérience d’une amie, qui m’a « surprise » dans le sens où son retour s’est « bien passé » : elle était partie pour voyager un an. Au bout de 12 mois, elle avait encore l’envie, elle a continué. Au bout de 16 mois, elle en a eu « marre », elle s’est rendue compte qu’elle avait « sa » dose, temporaire certes, mais elle était allée « au bout de son envie ». Elle s’est rendue compte qu’elle cherchait plus à avoir des nouvelles de France qu’à profiter et découvrir le pays visité. Elle est rentrée, elle a retrouvé sa famille, ses amis, elle a eu le décalage, le truc comme toi de se rendre compte « qu’ils s’en foutent », mais elle ne l’a pas trop mal vécu de ce qu’elle m’a dit, car elle était revenue « pour une bonne raison » : l’envie de revenir. Je ne sais pas quel a été son déclic, mais j’ai trouvé sa réaction étonnante (dans le sens pas courante, si j’en crois les récits de « retour » autour de moi), et au final, tant mieux pour elle !
Résultat elle est restée 5 mois en France, et elle est repartie 🙂
Si pour l’instant tu n’es pas prête à repartir par peur du retour, libre à toi, tu n’as même pas besoin de te justifier. Et puis tu poses une question, dans ton article « pas si brouillon » : pourquoi revenir ?…
Bon courage
Tu ne t’incrustes pas du tout. Au contraire, c’est chouette de venir partager ton expérience et celle de ton amie ici. Je pense qu’aller au bout de ses envies est essentiel et tu le rappelles assez bien à travers ton commentaire. Apparemment tu as suivi les tiennes et je te souhaite de pouvoir en profiter au maximum sans penser au retour. Bon voyage à toi et merci pour ton passage Sophie 🙂
Ton témoignage est émouvant. Tu as décrit à coeur ouvert ce que beaucoup de voyageurs au long cours ressentent lorsqu’ils reviennent. Moi je crois que ce que tu as aimé, c’est le fait d’être loin, de vivre à l’étranger, de découvrir d’autres gens, une autre manière de vivre, de perdre tes repères… Bref, tout ce qui fait la joie du voyage. Et , en plus, tu as découvert un endroit magique qui est le Québec.
Alors si je peux me permettre de te donner un conseil : n’aie pas peur de retourner là-bas. Peut-être que tu y retrouveras un tas de choses que tu as aimées et ce sera le bonheur. Et, à l’inverse, peut-être que non. Ca voudra dire que tu auras changé, grandi, et c’est bien aussi. Rien ne t’empêchera de continuer ton voyage ailleurs pour découvrir de nouveaux horizons. Pour moi, c’est ça le bonheur d’être en voyage ^^
Merci Mathieu pour ton commentaire, qui me permet de découvrir ton blog au passage 😉 Je pense que Montréal attendra encore un peu… mais le fait d’avoir posé mes pensées sur ces quelques lignes, me permet aujourd’hui d’y voir plus clair. Il serait vraiment dommage de laisser la « peur » nous priver du plaisir et de l’enrichissement que nous apporte le voyage.
Bonjour,
Je tombe sur ce billet alors que je m’apprête à revenir en France après 25 mois de voyage et de vie à l’étranger.
Je te le dis clairement : j’ai peur. Peur d’être bientôt dans ta situation que je comprends complètement.
En fait, ce que je redoute le plus, ce n’est pas tant cette peur de repartir que ce décalage avec mes proches et cette incompréhension que tu décris si bien. Je sais déjà que certains ne me comprennent déjà plus, me trouvent un peu fou, se désintéressent de l’expérience magique que je vis encore actuellement. Je crains terriblement ce moment où mon exaltation va les saouler et je redoute ces moments où, moi aussi de mon côté, je devrai garder pour moi ces expériences et feindre de m’intéresser à des trucs que je considère désormais comme étant sans réel intérêt afin de ne pas les perdre…
Bref, je te comprends tout à fait.
Bon courage pour la suite. Si tu veux mon avis, ne réfléchis pas trop : pars. Accepte peur et appréhension (tu ne pourras pas t’en débarasser si facilement) et pars
Merci Ryfe pour ton commentaire. Je te souhaite plein de courage pour ce retour qui n’est jamais facile. Certains le vivent mieux que d’autres, si ça peut te rassurer 😉 Le seul conseil que j’aurais à te donner, c’est de rester toi même. Pourquoi feindre de t’intéresser à des choses qui n’attirent même plus ton regard ? Je ne pense pas que tes « proches » apprécieront d’avoir quelqu’un de « faux » en face. Je ne sais pas si on peut vraiment anticiper ce décalage avec les personnes qui nous étaient chères avant le départ. Le voyage nous ouvre souvent les yeux, nos horizons sont différents, bref on change. Voyager dans son propre pays, aller à la rencontre de personnes différentes chez soi ou qui ont également vécu un long voyage, peut être un moyen de limiter la casse… N’hésite pas à revenir ici pour nous faire part de ton ressenti à ton retour en France.
Bonjour Lucie,
J’aime bien ce billet, très vivant, sur le décalage entre le vécu du voyageur et la difficulté à communiquer au retour avec ceux qui sont restés et nous paraissent avoir fait du sur place.
Il me semble que tout grand voyage produit ce type de résultat : c’est un univers envahissant qu’on porte ensuite en soi pour toujours, avec l’envie de partager, au risque de radoter et de souler.
En revanche, à mon retour au bout de 7 mois de voyage, j’avais l’impression que le changement serait plus fort en rentrant qu’en continuant à vagabonder au jour le jour, ce qui a facilité l’atterrissage.
Swim in India
Bonjour « Swin in India » et merci pour ton commentaire. En effet, le voyage finit par « envahir »… Le virus peut se transmettre mais pas aussi facilement qu’un rhume 😉
Après peut-on vraiment qualifier un voyage de « grand » ? Je pense que ni la longueur du séjour, ni la distance peut résumer l’émotion qui s’en dégage. Je parlerais plus d’intensité du voyage.
Du coup à ton retour d’Inde et du Népal, tu as continué à vagabonder un peu pour limiter la « casse » ?
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