Trois ans de route

On dit que l’amour dure trois ans. Mais alors qu’en est-il du voyage ?
Retour sur ces trois années passées sur la route.

Mise en lumière d’une fleurIMG_2321

"Le trajet d'avion a été long, j'ai bien cru qu'il ne se terminerait jamais et pour couronner le tout, je prends 20 degrés dans la gueule. J'ai pris mon envol ! Mais je ne réalise toujours pas. C'est assez fou cet état d'anesthésie". Journal, 30 janvier 2014

Je suis à Singapour entrain d’attendre mes hôtes. Je viens de quitter la France pour un bout de temps. J’ai dit à tout le monde que je partais pour un an mais au fond, je savais que ça serait pour plus longtemps. Quelques jours dans cette ville état et c’est un bout d’Asie que j’ingurgite, surprise de son impact positif sur moi. Mais il est déjà temps de reprendre un vol pour la Nouvelle-Zélande, pays fantasmé depuis plus de 7 ans.

Au bout de quelques semaines, j’y découvre le HelpX et me souviens particulièrement de cette expérience sur ce bateau, où mon hôte David me demandait ce que j’étais venu chercher ici, à l’autre bout du monde.
« – Ma liberté, lui répondais-je.
– Regarde, me dit-il, regarde la mer. Pour moi, c’est cela être libre ».IMG_0856

Un mois après, ma peur de prendre la route totalement seule s’était émancipée. J’avais rencontré Pierre, ce français, qui avait une vision tellement différente du voyage, que je ne me voyais plus continuer ma route avec d’autres personnes. Il fallait que je suive mes envies, que je tende le pouce, que j’arrive à survivre un an dans ce pays si différent.

"Les nuages sont venus recouvrir le sommet des montagnes. Le lac Tekapo a retrouvé sa couleur triste et Christa/Eric/Max et Dimit sont repartis. J'ai beau me faire une raison, les larmes ont coulé sur mon visage légèrement bronzé par la balade du matin". Journal, Novembre 2014

Et voilà que la route m’emportait. Ses virages serrés, ses paysages époustouflants à chaque détour, ses montagnes me laissant impuissantes devant tant de beauté. Je dévalais les kilomètres le pouce tendu, à la conquête de nouvelles photos et rencontres. Je me suis énormément rapprochée de la nature, optant bien trop souvent pour mes chaussures de randos, échappant aux villes où la pression du « je devrais peut-être trouver un boulot » était bien trop imposante.
Insouciante, je me sentais libre. Libre de mes mouvements. Libre de mes envies.

J’en suis devenue accro à cette liberté. Et j’en ai donc fuis toutes ces fabuleuses rencontres, qui auraient pu me rattacher à un lieu, à une communauté. J’avais envie d’avancer seule, encore plus loin, pour voir si c’était mieux ailleurs.

Se déraciner, pour mieux se retrouver ?

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Pourtant je les adorais ces rencontres. Et je cherchais à en faire toujours plus. Toujours plus de belles connexions, toujours plus d’affections, encore plus d’éphémère. J’étais comme ce petit nuage qui cherche à se gonfler au contact des autres, mais à se vider à chaudes larmes quand il pleut et doit partir. Je n’avais aucune obligation pourtant, de quitter tous ces gens… Mais je trouvais toujours des excuses. Soit ils allaient dans la direction opposé et mes plans étaient trop précieux pour être changés, soit je pensais qu’ils ne pourraient survivre à mes côtés, me dévalorisant volontairement pour ne pas m’attacher.

" Je ne sais pas où je serais en 2015 mais je pense rester sur la route encore un peu. Ralentir le rythme aussi pour survivre plus longtemps à l'abandon des gens que je croise sur ma route". Journal, 2 janvier 2015

Et pourtant… plus j’essayais de me détacher, plus je me rattachais à ces gens. Je commençais à réaliser qu’être sur la route, c’était une liberté de mouvement certes mais quelque chose manquait dans mon épanouissement: des racines, des gens sur qui compter, vraiment. J’en devenais paradoxale.
Tous ces gens que je rencontrais, je savais dès le départ que j’allais les quitter. Au fond de moi, j’espérais que l’un d’eux/d’elles me suivent, prennent la route avec moi et partage un brin de mon quotidien. Mais en même temps, je leur renvoyais l’image de la femme libre, indépendante, que personne ne pourra faire changer d’avis quant à sa destination.

" I know that maybe I am trying to chase a rainbow... something beautiful but no matter how hard I try to touch it, I'm always the same distance away." R.

Un ami, un peu trop amoureux de moi, me comparait alors à un arc-en-ciel, cette chose magnifique, que peu importe à quelle distance tu te trouves, tu ne pourras jamais l’attraper.

Ralentir signifie-t-il s’épanouir ?

"Melbourne, c'est cool, c'est sympa, c'est vivant mais j'ai besoin de nature". Journal, Mai 2015.

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Après un an et trois mois en Nouvelle-Zélande, je continuais mon périple en Australie. Malgré une superbe opportunité professionnelle en France, je n’étais pas prête à rentrer. J’avais décidé de ralentir. J’avais trouvé un boulot pour 6 mois dans une station de ski…. c’était l’occasion de souffler, de m’apprivoiser, de me recentrer. Mais j’ai décidé de continuer. Et je suis repartie.

" J'en ai marre que mes émotions fassent yoyo toutes les deux secondes. Un coup je veux rester. Un coup je veux partir". Journal, juin 2015
" Partir a été la solution idéale... comme d'habitude". Journal, 8 juillet 2015

J’ai repris la route seule en continuant mes aventures en HelpX et Couchsurfing. J’ai continué à rencontrer des gens formidables et à essayer de me détacher encore plus. J’ai ralenti doucement en restant plus longtemps chez mes hôtes ou en partageant quelques semaines de voyages avec un ancien coloc.

"J'ai l'impression que ces années voyages se font en vain et qu'à force de fuir les belles rencontres, je deviens amère". Journal, 8 mars 2016

Le problème, c’est que la fuite me rapprochait de ma propre colère. Je n’avais pas l’impression de fuir pourtant. C’était cette soif d’aventure qui me poussait vers l’avant. L’envie de tout voir, tout faire, en profiter au maximum car mon visa ne me permettait d’y rester qu’un an.
Lorsque je relis mon article, célébrant mes deux ans de route, je la ressens vive cette colère. Une amertume envers les autres se dégagent, une déception envers moi même.

« I had to come to peace with everything. I had to learn to forgive myself, not to judge, but to learn from the past. They showed me how vital it is to accept, be truthful and love myself so I could do the same with others ».
Mutant message down under, Marloo Morgan.

En lisant mon article, ma tante me demandait pourquoi j’évitais les voyageurs comme moi. Et je me suis rendue compte que c’était par comparaison.

En effet, rien que d’entendre les histoires des autres me donnait de l’urticaire. J’évitais les conversations du type « t’es allé où ? t’as fait quoi ? ». Je trouvais ça ennuyant, épuisant, pas intéressant… et surtout je n’arrivais pas à raconter ma propre histoire, à faire imaginer à mon public, ces lieux que j’avais visité mais qui étaient tellement liés à d’autres personnes qu’il aurait été difficile de décrire. Oui, j’étais bien allée sur la Côte Est, à tel et tel endroit, mais ce qui me marquait le plus me renvoyait à ces rencontres, ces connexions que j’avais décidé de quitter.
Mais c’était surtout par comparaison que j’évitais ces autres voyageurs. Et si leurs expériences étaient mieux ? Et si en les écoutant, je découvrais que j’avais raté mon année ? La peur de manquer, de ne pas avoir tout vu tout fait peut-être ? Non… c’était plus une histoire de confiance en moi. Cette fameuse confiance en moi, qui après trois ans de route, n’est toujours pas à son top niveau.

" Voyager seule, me permet d'être seule avec les personnes que je rencontre, augmentant mon estime de soi, sans que j'ai à me comparer à personne". Journal, 18 octobre 2016

Se pousser à bout pour mieux lâcher prise

"Pourquoi faut-il que je me pousse à bout ? Qu'est-ce que j'ai à me prouver ?" Journal, 9 février 2016

Alors j’ai décidé de tenter le diable et de commencer à voyager avec d’autres personnes, à nouveau après deux ans. Un mois dans un van de Melbourne à Alice Springs, avec la sœur d’une amie… C’était dur, c’était intense de partager un si petit espace qui n’était pas le mien. Alors j’ai pris sur moi, usant de ma patience que je pensais avoir laissé sur la route. On passait nos journées dehors en pleine nature. J’étais heureuse mais frustrée. Frustrée de ne pas pouvoir faire ce que je voulais à 100%, frustrée que ma compagnon de route veuille contrôler le périple. Il fallait que je respire, alors je suis repartie.

Puis je retentais l’expérience sur la Côte Ouest avec trois autres filles. Je savais qu’on n’aurait pas les mêmes idées et désirs pendant ce voyage, mais je prenais cela comme un nouveau challenge. Je commençais à créer une belle amitié avec l’une d’elle et avait l’impression d’avoir trouvé la compagne de voyage idéale. ça a été dur encore une fois de devoir concilier ses envies, négocier tous les jours… c’était usant, un peu trop même.

Dans ces moments là, je me remets souvent en question, en me demandant qu’elle est mon problème. Mais cette fois-ci, je me suis juste dit que l’on était tous différents avec ses propres idées et envies. Je faisais mes premiers pas vers l’acceptation de soi et de l’autre.

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Puis j’ai pris sous mon aile cette fille, devenue mon amie. Je lui ai montré ma façon de voyager, ces différentes facettes qui me font vibrer. Nous avons navigué pendant un mois sur la Côte Ouest et j’ai du me confronter à nouveau à mes vieux démons: « mais pourquoi il ne regarde qu’elle ?! ça aurait du être mon expérience ». L’impression de retomber en enfance à me battre avec ma confiance en moi constamment.

'L'indécision règne. Journal, 19 novembre 2016

Cette amie m’a remercié de cette belle aventure et m’a gentiment dit d’aller voir ailleurs si j’y étais. « Nous avons une façon différente de voyager et d’appréhender les autres ». Je me suis sentie jugée, trahie.

Arrivée à Fremantle seule et démunie, je respirais à nouveau cette liberté de mouvement, le cœur cette fois-ci en vrac. Puis j’ai fait une nouvelle rencontre et je n’ai pas voulu la lâcher. J’avais décidée de me laisser aimer, sauf que ce n’était plus pour les bonnes raisons. Cette personne m’a gentiment envoyé chier: « Stop bashing yourself over the head with your own thoughts. It’s not healthy. Learn to just let some things go », J.

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Alors j’ai compris ce que j’étais venue chercher à l’autre bout du monde. Ma liberté n’était pas celle du mouvement, ma liberté se trouvait au fond de moi. Il fallait que je m’accepte enfin pour me sentir libre. Et pour m’accepter, il fallait que je lâche prise.

Ce que j’aimais dans mon voyage, c’était cette poussée vers l’avant me donnant l’impression de tout contrôler, de continuer fière sans impasse sur ma route, sans avoir à surmonter ou concilier. Je me suis poussée à bout… à bouger toutes les semaines pendant deux ans et demi, à m’extravertir via les rencontres, alors que me connaissant il me fallait me recueillir dans ma bulle pour quelques temps. J’ai vidé toute mon énergie à travers ces années de voyage. Je me suis tellement poussée qu’il m’en fallait peu pour verser une larme. Je me suis fatiguée physiquement et nerveusement. Il fallait que je retrouve un équilibre. Alors j’ai posé mes valises à Hobart.

"Me recentrer, m'épanouir loin de la route, loin de ce besoin d'aller de l'avant encore et toujours. Souffler, s'émerveiller, m'accepter." Journal, 19 novembre 2016.

Et la suite ?

Je ne regrette rien. Ces trois années ont été belles, rebondissantes et enrichissantes. J’ai aimé toutes ces magnifiques rencontres qui m’ont permis de grandir. J’ai aimé ces moments de solitude, bien que rares, qui m’ont permis de me remettre en question, me poser les bonnes questions peut-être. J’ai eu des hauts et des bas, mais je suis toujours aller de l’avant. La liberté a été le fil conducteur de mon voyage et l’ai encore. Je ne dis pas adieu à la route, loin de là… je me pose juste un peu quelques mois, avant que la date butoir de mon visa ne m’oblige à quitter le pays. Et, ça fait du bien de ne pas à avoir à prendre la décision de partir. Le départ viendra de lui-même et j’espère avoir canaliser assez d’énergie d’ici là pour me préparer à la suite.

Et vous, savez-vous au fond pourquoi vous voyagez ?

« Lucie – let your wandering travels guide you and let you grow. » Dana

9 Comments on “Trois ans de route

  1. Rho la citation sur l’arc en ciel… Moi j’en avais eu une un peu dans le même genre, où un amoureux m’avait comparé à une étoile filante (en disant que je brillais mais que fallait faire attention car si on s’approchait trop proche de moi on se brûlait) et une amie avait surenchéri en disant que non j’étais carrément une météorite (parce que j’arrivais dans la vie des gens et boum je laissais ma trace ^^).

    Tu sais moi aussi quand je voyageais ce qui me pesais le plus, c’était les aurevoirs, j’en terminais souvent en mode madeleine à pleurer à chaudes larmes… Bref, quand je te lis, ben moi aussi je me dis que j’aurais pu écrire tout ça… on se ressemble décidément beaucoup ! <3

    • Oh merci d’être passée ici ❥
      J’adore ta définition de la météorite ! Tu dois être un sacré personnage 🙂 (dans le sens positif hein…)
      Oui je crois que c’est ce poids qui m’empêche aujourd’hui de repartir sur du long-terme, du moins seule.
      D’autres envies sont là… et elles rejoignent assez les tiennes.
      Au plaisir de te croiser sur nos différentes routes.

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