Le Balaïtous. Un nom qui m’a été prononcé un jour comme une promesse d’aventure lointaine. Un sommet inaccessible qui ne serait qu’un rêve en pays Toy. Et puis un jour, on en parle à un ami et ce doux nuage devient une rude épreuve. On devait en faire le tour mais les refuges étant complets, on se limitera à l’ascension du Balaïtous. Et quelle montée !
Nous prenons la route au départ de Toulouse, avec deux covoitureurs qui ont décidé de faire la même ascension que nous. Sauf qu’eux souhaitent rejoindre le sommet de 3 144 m dans la journée.
Après plus de 2h de route, nous voilà à nouveau au cœur du Val d’Azun, cette vallée que j’aime tant pour y avoir vécu et en avoir fait le tour à pied. Nous montons jusqu’au Plan d’Aste, où nous laissons la voiture et les gars qui partent devant nous. Nous montons tranquillement avec mon co-équipier du jour pour rejoindre le refuge du Larribet.
A gauche de la Maison du Parc, nous prenons la direction du lac de Suyen, puis vers la cabane de Doumblas. Le sentier est boisé et nous apprécions la fraicheur des arbres en ce 14 juillet 2022. Je n’aurais pas aimé me retrouver sur les gros cailloux sous 30°C pour faire l’ascension du Balaïtous dans l’après-midi. Nous arrivons au refuge assez tôt et profitons d’une belle pause en montagne avant le diner du soir.
Le jour se lève à peine lorsque nous sortons du refuge. Nous ne sommes pas les premiers et voyons quelques personnes prendre la tête munies de leur lampe torche.
Nous nous dirigeons vers les lacs de Batcrabère, sur un sentier bien marqué, avant de remonter au dessus du lac inférieur que l’on peut admirer sans vraiment s’attarder. Puis on continue vers les lacs de Micoulaou, avant de bifurquer vers la droite… un peu trop.
Devant nous des éboulis et un amas de grosses pierres à escalader. Nous suivons tant bien que mal les cairns qui sont posés ça et là. Je n’aime pas les gros pierriers. Mon compagnon de route avance et je sens déjà qu’il s’impatiente. J’avance tant bien que mal. Je n’ai pas le contrôle sur l’itinéraire. Les gens ont longtemps tracé devant et ceux qui étaient derrière nous, ne sont plus en vue.
Au bout d’un moment, G. m’annonce qu’on s’est planté de chemin : « on est trop parti vers la droite « . Je ne sais plus si c’était vers les Passes de la Barrane ou carrément vers le Port de Lavedan. Mais nous venons de nous rajouter une heure de montée dans des grosses pierres mal agencées. G. me propose plusieurs fois de faire demi-tour. Je pense pourtant avoir le niveau mais le manque de randonnées récentes me fait douter. Je suis assez fatiguée par ce gros pierrier, mais nous décidons de continuer malgré tout.
Nous bifurquons sur la gauche pour tenter de rattraper le chemin menant vers la brèche des ciseaux. J’avance à mon rythme et je sens G. désemparé. Nous rattrapons finalement ceux qui étaient loin derrière nous le matin-même et continuons notre avancée vers la brèche. Encore des cailloux, toujours des cailloux. On finit par s’approcher doucement de cette ouverture dans la roche, alors que la pente s’accentue. Le sentier glisse sous nos pieds, puis ce sont nos mains qui nous permettent d’accéder au côté espagnol.
On retrouve les éboulis et je suis presque contente d’échapper aux mini graviers, ceux qui vous font glisser et donnent la sensation de marcher sur du sable, pour retourner dans des blocs plus stables. Dans ma tête une seule chose : ne pas repartir sans avoir gravi le sommet.
Nous passons rapidement l’abri Michaud pour nous engager sur la Grand Diagonale. Je l’appréhendais un peu, mais j’avais lu qu’elle était plus impressionnante qu’en réalité. Devant la montée, je suis sereine et à deux doigts de l’objectif. Je reprends confiance et monte en tête, profitant de la vue splendide lorsque je me retourne pour attendre G. Je balaie rapidement ma petite voix qui me dit « la descente ! Oh punaise, cette descente ! ». Je sais qu’elle va s’annoncer compliquée. Mais une chose à la fois… l’objectif immédiat étant de faire l’ascension du Balaïtous.
Arrivés en haut de la grande diagonale nous croisons les covoitureurs de la veille. Ils n’ont pas très bonne mine. Heureuse d’être arrivée au bout de ce que j’appréhendais, je leur demande si on y est presque. Et ils me répondent déconfis « oh que non ! ». Je ne comprends pas tout de suite. Ils ont eu tellement chaud lors de leur ascension du Balaïtous, qu’ils ont apparemment bien galéré pour l’atteindre et ne sont pas très encourageant.
Nous les quittons tout de même confiants. Mais au bout de quelques minutes, nous commençons à chercher le passage censé nous emmener au sommet alors que nous nous trouvons face à un mur. Nous ne sommes pas les seuls à hésiter. Nous tentons une grimpette d’un côté, puis de l’autre. J’assure à mes compagnons de route qu’il ne faut pas aller complètement sur la gauche vers la brèche des isards, même si soudainement c’est le sentier qui nous semble le plus facile. Heureusement certains randonneurs redescendent et nous indiquent le chemin. En regardant dans leur direction, je me demande comment ils ont bien pu passer par là.
Moi qui ait fait de l’escalade seulement deux fois dans ma vie en Australie, je ne suis pas confiante à grimper avec les trois hommes qui m’accompagnent à ce point de l’aventure. L’un d’entre eux n’ont plus, alors on s’encourage comme nous le pouvons. J’essaie à nouveau de ne pas penser à la descente. Le chemin n’est pas sûr mais nous avançons jusqu’à retrouver un semblant de passage. Je regrette de ne pas avoir pris un casque. Heureusement nous ne sommes que quatre à ce moment-là.
Finalement ça monte bien. Le mur impressionne mais les pierres sont là pour que nous posons les pieds. Nous arrivons enfin sur la crête et au sommet ! Certains ont déjà fini de manger et nous félicitent pour notre avancée.
Soudain, G. se remet à stresser alors que de mon côté je relâche tout : la pression, la peur, le dénivelé avalé. Je réalise que j’étais partie trop confiante. Après un beau COVID, trois semaines à Madagascar et un mois à combattre le zoo que j’ai ramené du pays (vous êtes, sans aucun doute, ravis de le savoir), ce n’était pas très judicieux de ma part de me lancer dans une telle aventure. Je n’avais pas randonné depuis longtemps et mon corps n’était pas en forme. Et pourtant il me criait d’y aller et jusqu’au bout !
Je m’assoies donc pour profiter de la vue et G. m’annonce que nous n’avons pas le temps.
– Comment ça ? Je peux manger quand même ?!
– Ben oui, mais on ne va pas rester longtemps au sommet.
Il est seulement 13h. Je ne comprends pas. Mon esprit n’est plus là. Je me rattache à la vue splendide et à mon déjeuner. J’en ai plein les pattes. J’aimerais bien me poser, surtout que je sais ce qui nous attend.
Mon déjeuner avalé, je récupère toutes les émotions de G. Merci l’empathie et l’hypersensibilité ! C’est déjà assez compliqué de gérer ses propres sensations dans ces moments-là, alors quand je ne peux pas ne pas ressentir celles des autres, cela devient difficile. Je prends pourtant sur moi et j’acquiesce quand G. me dit qu’il est temps de décoller. Ceux arrivés avant nous sont encore au sommet à profiter de la météo splendide et du panorama à 360°.
Nous désescaladons ce mur qui nous semblait infranchissable à l’aller pour paraître plus simple à la descente. Je prends mon temps et nous arrivons devant la Grande Diagonale. J’avance à petit pas et la partie de plaisir commence : du caillou roulant sous les pieds, des genoux en compote et un corps qui fatigue. C’est alors que je me braque tandis que G. est loin devant. La toulousaine que nous connaissions, croisée au sommet, me double : « ah tu as peur ? ». Je reste polie, alors que les gars m’encouragent en me disant que j’ai déjà fait le plus dur.
C’est bien beau tout ça mais mon corps, lui, ne veut plus avancer. G. remonte me voir et je reprends une bouffée de stress et la culpabilité s’installe. Il fait tout ce qu’il peut et je m’excuse de ne pas assurer. Je manque de force, d’énergie. J’avale mes graines couplées de raisins secs et regrette de ne pas avoir pris du sucre instantané. J’en aurais bien eu besoin.
Le mental reprend enfin le dessus. Un pied après l’autre. Mais mon corps n’avance plus. Je force… Ma démarche se métamorphose alors en celle d’un cowboy et pour la première fois, je crains pour ma vie. Pourtant je passerais les heures suivantes à m’excuser et à culpabiliser. G. avance doucement, me regarde désemparé tandis que j’avance un pied après l’autre comme une marionnette désarticulée.
Je suis épuisée et je ne sais pas comment j’arrive à avancer. Dans ma tête tournera en boucle cette phrase : tu peux le faire. Allez, tu as fait le plus dur. Et ce sera comme ça jusqu’au refuge. Il est 19h15 quand nous arrivons. Les gens sont déjà à table. Je trouve la notre et m’installe sans pouvoir dire autre chose que « bonsoir ». Je me concentre sur la soupe chaude qui nous attendait, et même mettre la cuillère dans ma bouche me demande de redoubler d’effort. Au bout de 10 minutes enfin, je me sens reprendre des couleurs et tentait une approche vers mes voisins de droite.
13h ! C’est le temps que nous avons mis pour faire le Balaïtous. Il n’y a pas de quoi être fier sur une ascension de 8h aller-retour au départ du refuge. On a perdu une heure dès le matin en faisant un détour et mon retour chaotique nous aura mangé tout le reste. Mais je n’étais pas là pour la performance. Et si c’était à refaire, je prendrais tout le temps qu’il me faut au sommet pour reprendre des forces, quitte à sortir la lampe torche depuis les lacs de Batcrabère.
Le lendemain la descente jusqu’au plan d’Aste s’est faite tranquille. Il me suffisait de refaire le plein d’énergie. Je ne suis pas une gazelle mais chacun devrait continuer à son rythme, sans essayer de s’adapter à celui de son partenaire, plus rapide.
Je m’étais promis de ne jamais le refaire. Mais à l’heure où j’écris cette article, la liste de pic s’est allongé et mes pieds sont un peu plus confiants sur des chemins dégoulinants. Et vous, est-ce que ça vous ait déjà arrivé de finir une randonnée sur les genoux ?
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