Avant de quitter la Tasmanie pour rejoindre Melbourne et laisser l’Australie derrière moi pour toujours, j’accompagnais un ami sur l’Overland Track. Ce trek de 65 km, si on se cantonne à ne pas faire de détour, nous propose de nous enfoncer au cœur de vallées sculptées par les glaciers, de forêts tropicales anciennes, de landes dorées par les buttongrass et de belles prairies alpines. Cette randonnée tasmane a un coût. L’espace naturel étant très fragile, l’accès est limité à 40 visiteurs par jour. Il faut donc réserver en amont, du moins pour la saison estivale.
Je laissais donc toutes mes possessions dans le coffre, sur ce parking que j’avais croisé un an plus tôt. Nous nous tenions à l’entrée du parc national de Cradle Mountain au cœur d’une météo mitigée. Le désavantage de devoir réserver son créneau de randonnée, c’est qu’il devient impossible de décaler en fonction du temps. Nous étions fin mars et l’été nous avait quitté prématurément.
Nous partions donc en milieu de matinée, après avoir ajusté nos sacs, remplis de denrées pour la semaine. Nos capuches vissées sur la tête, nous avancions de Ronny Creek au Crater Lake. Le « Marions Lookout » ne nous déçut pas, nous offrant des vues presque ensoleillées derrière les gros nuages gris de la matinée, sur la célèbre Cradle Mountain.
Un an auparavant alors que je donnais un coup de main dans un petit village en autarcie, mes hôtes m’avaient déposé au même endroit afin que je puisse gravir son sommet, haut de 1545 m. Du point de vue, il fallait pousser jusqu’au Kitchen Hut, pour entreprendre ensuite l’escalade de ces gros blocs de pierre arrondis par l’érosion. Seule, j’avais dû lutter contre un vent tenace, afin de ne pas perdre l’équilibre dans ma progression jusqu’au sommet. Remplie de ce souvenir d’aventure en solitaire, je me tournais vers Ben : « Je ne pense pas que nous puissions gravir Barn Bluff aujourd’hui ! ».
Barn Bluff, c’était cet autre sommet, la 4ème plus haute montagne de Tasmanie, qui inondait les photos de ceux qui s’aventuraient dans le coin. Il avait cette forme de pic bien raide, qui semblait être le prolongement du chemin en bois, agrémenté de fil de fer râpeux, qui soutenaient nos pieds. Ce jour-là, le sommet disparaissait sous une immense couche de nuages tristes et épais, nous garantissant une vue vide en haut de ce dernier.
Le terrain était de toute façon humide et nous ne voulions prendre aucun risque dès le 1er jour de notre itinérance. C’était donc confiants, que nous refermions la porte de notre première cabane du soir.
Le lendemain, la météo n’avait pas changé. Le manteau duveteux était devenu plus dru et nous avancions bien emmitouflés. Les petits lacs semblaient se transformer en grosses flaques dégoulinantes par endroit. Je m’attardais sur les détails. Ceux de mon visage rougi par le froid, celui des baies humides ou encore la végétation changeante et les rares éclaircies. Vers 12h, le temps pluvieux semblait s’apaiser. Les rayons du soleil finirent par éclairer doucement le bout pointu des Gymnoschoenus sphaerocephalus ou « buttongrass ». Ces plantes typique de Tasmanie ressemblait à une touffe d’herbe, mélange de rouge et vert tendre, partant d’un même point. Des buttongrass, nous rencontrions les eucalyptus, puis les landes, avant de plonger dans une ambiance plus alpine. Nous doublions l’étape, pour atteindre ce soir-là la spacieuse cabane Pelion, afin de pouvoir le lendemain entreprendre un détour optionnel, sous une météo plus clémente.
Du Pelion à Kia Ora, il n’y a qu’un pas… et le plus haut sommet de Tasmanie : le Mont Ossa. C’était plutôt sympa comme clin d’œil. « Kia Ora » signifie « portez-vous bien » en Maori et est utilisé pour dire bonjour. Ce bout de Nouvelle-Zélande nous portait chance, puisque le soleil avait décidé de pointer le bout de son nez pour la journée. Ça grimpa rapidement au cœur de la forêt humide, tandis que j’osais à peine happer chaque rayon de soleil qui se faufilaient jusqu’à moi.
Ce fut de Pelion Gap que nous bifurquions. Ce plateau alpin exposé nous offrait des promesses de toute beauté. Comme retombée en enfance, je sautais gaiement de pierres en pierres, qui avaient été posées là pour former un chemin sécurisé sur sol boueux. Si nous devions comparer un pays européen à la Tasmanie, je penserais à l’Irlande, pour ses quatre saisons en une journée quelle que soit la partie de l’année. Le Mont Ossa saisissait de son air d’orgue planté là, telle une cathédrale. Nous avancions parmi les rochers, tandis que la neige parsemait les plus gelés. Hors, nous n’étions pas les seuls ce jour-là au sommet et lorsque mes chaussures mouillées en touchèrent le sol, nous partagions tous un sourire de satisfaction.
Ben et moi déjeunions en altitude avant de redescendre vers notre cabane du soir à quelques heures de là. Je commençais à fatiguer de ces derniers jours froids. Mes nuits précédentes avaient été glaciales et je me réveillais souvent en pleine nuit pour grignoter, car un ami australien m’avait dit « mange pour te réchauffer ».
Cette nuit-là fut la même. Je me réveillais en sursaut pensant qu’une souris tapait déjà dans mes amandes qui me maintenaient en vie la nuit. Mais les autres randonneurs finissaient toujours par se retourner dans leur sac de couchage alors que je semblais enfin avoir trouvé une position confortable. Le petit matin se levait à peine qu’ils étaient déjà entrain de faire chauffer leur café. Je profitais encore un peu de la moindre pointe de chaleur émanant de mon sac de couchage bien trop fin, avant de m’extirper de là avec la sensation d’avoir passé une courte nuit.
Puis on recommençait à marcher comme la vieille, parmi les flaques parsemant le chemin déjà de boue. Mais à chaque fois la magie revenait. Celui d’un petit détail au détour du sentier, celui d’un bout de mousse irisée, d’un tapis naturel multicolore, entre les eucalyptus qui se déplument.
A l’aube du cinquième jour, on quittais Windy Range pour Pine Valley Hut, une cabane à une heure et demi de marche de la route principale. Nous l’atteindrons pour 12h. J’avais proposé à Ben, la veille, de monter jusqu’à la montagne Acropolis. Celle-ci est enneigée au sommet et la vitalité me manque à cet instant là. Je laisserais Ben l’atteindre seul, un peu dégoutée de ne pas m’être motivée jusqu’au bout. J’en profiterais pour tenter de faire sécher mes chaussures, mouillées depuis le 1er jour. Ben ravi me ramènera des photos et nous profiterons de notre dernière nuit sur l’Overland Track.
Nous étions le 3 avril et il était temps d’entamer notre dernière journée de marche, la batterie de mon appareil photo nous laissant seuls à admirer pour la première fois le lac St-Clair. Ben et moi ne voulions pas le traverser en bateau pour atteindre l’autre rive. Nous profitions des derniers instants pour en contourner la rive, doucement, et trouver une voiture pour nous ramener à notre point de départ.
L’Overland Track fut mon premier trek d’une semaine. Il s’en est passé des choses depuis. Même si je chemin n’est pas compliqué en tant que tel, il faut un brin de mental pour affronter la météo capriceuse de ce bout de pays. Ici on ne sait jamais quel temps en aura et ce sera probablement de la pluie. Mes pieds mouillés s’en souviennent. J’étais mal équipée à l’époque et les moyens du bord m’avaient finalement suffit à boucler cette semaine humide. Pendant ces quelques jours en pleine nature, j’avais complètement oublié les péripéties scandaleuses qui venaient de m’arriver (mais ça, c’est une histoire à retrouver un jour dans un livre) et j’étais à nouveau prête à mordre la vie à pleine dent.
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