Refuge d’Art, une œuvre de 150km autour de Digne-les-Bains

Vers la fin de mon GR10, Mathieu me contacte pour me proposer de me joindre à lui, à la découverte du Refuge d’Art. Il me parle d’un trek de 10 jours au départ de Digne-les-Bains au cœur des Alpes de Haute Provence. Il a besoin d’une figurante pour prendre quelques photos. Comment refuser une randonnée dans un département que je connais finalement si peu, au delà des Gorges du Verdon et de la belle Sisteron ?


Je prépare mon sac le plus léger possible. J’ai délaissé ma tente pour un séjour tout confort, emportant duvet, changes et mes trois couches habituelles pour une randonnée. J’ai caché quelques graines dans mon sac, au cas où le guide aurait oublié quelques détails. Je rejoins Digne-les-Bains en train au départ de Toulouse, où je passe la nuit.

Refuge d’Art, de Digne-les-Bains à Thoard

Après un court transfert matinal en taxi jusqu’au petit village de Courbons, c’est à travers un paysage méditerranéen que nous montons, pour rejoindre la forêt domaniale du Bès. Je suis en compagnie de Mathieu, Luc, notre guide et Eric présent pour la journée. Nous cheminons tous les quatre sur un chemin parsemé de pierres, prenant le pouls de notre petite équipe du jour. Le paysage s’offre dru et les montagnes dessinent de leurs courbes un aperçu de ces prochaines étapes. C’est à 1386 mètres d’altitude, à Martignon que nous prenons une pause déjeuner en compagnie des chevaux. De là, le chemin file droit. De la Comberge à La Bigue, les vues offrent leurs premières couleurs automnales, avant que nous ne plongions au cœur d’une forêt de hêtre aux feuilles duveteuses.

La traversée sous les arbres, parés de jaune, est courte. Le bois de Sivon laisse alors place à quelques parcelles de lavande coupée après le col de la Croix. Ça y est, nous sommes prêts à découvrir la première empreinte d’Andy Goldsworthy au sein de la chapelle Sainte-Madeleine. L’art s’offre nu au pas de la porte. Je me rapproche doucement effleurant de mes yeux ces pierres savamment taillées pour former une enclume ou un œuf dans lequel se lover. On se sent bien au cœur même de l’œuvre, tel un fœtus recroquevillé sur la pierre tendre. C’est peut-être la première fois que je peux jouer avec la création d’un artiste. L’observer, la toucher et prendre place. Je suis très enthousiaste pour la suite… D’autres ont laissé leur empreinte dans cette chapelle bercée entre deux montagnes.

Il est temps de rejoindre Bernard et Marie, gérants de La Bannette qui nous accueillent comme de vieux amis avec un jus de poire à tomber par terre. La soirée est teintée de voyage et mes yeux ne peuvent s’empêcher de fureter chaque recoin de la maison. Je pourrais rester ici des semaines tant mon imagination déborde malgré une journée de marche. Le feu de cheminée dansant finit par stopper mon vagabondage pour me concentrer sur le diner concoctés par nos hôtes de caractère. Au cœur de Thoard, nous voyageons en Suisse, puis de l’Inde à Israël.

De Thoard au refuge d’art La Forest

Je suis prête à l’heure et après un petit-déjeuner digne des plus grandes tablées, j’attends patiemment mes compagnons de route, Luc et Mathieu. Mes yeux dérivent sur chaque détail de la maison d’hôte, sur les objets posées ça et là, qui ont l’air chacun de raconter une histoire. Je suis sûre que de grands romans pourraient naître ici, à l’image de ces hôtes qui offrent à leurs invités une introduction à la vie d’Alexandra David-Neil, avec quelques livres sur les étagères de la chambre d’hôte bleu ou miel.

Il est l’heure de sortir de cette parenthèse pour longer la route en voiture jusqu’à la lisière de la forêt domaniale des Duyes. S’offre à nous le champ du Bois pour une marche au cœur d’un sol forestier jonché de champignons de toute sorte, où chacun semble retrouver son âme d’enfant. Puis on rejoint les crêtes sur la colline de St Joseph, dégageant la vue sur les synclinaux perchés. Les Alpes de Haute Provence sont splendides et inspirent à prévoir de futures randonnées. En ce mois d’octobre, nous ne croisons personne. Un délice pour ceux et celles qui chercheraient un moment de quiétude ou un retour à soi.

Les pauses photos sont nombreuses jusqu’au sommet du corbeau. Nous pique-niquons un peu plus loin avec la montagne de Melan en toile de fond. Du col de Mounis, le sentier serpente jusqu’au ravin de la Marine, abimé par les eaux aujourd’hui absentes. Les pins noirs d’Autriche nous accompagnent sur les derniers kilomètres menant au refuge d’Art La Forest, où Andy Goldsworthy a laissé une nouvelle trace, lumineuse cette fois.

Du refuge d’art La Forest à St-Geniez

On profite de la matinée pour jeter un coup d’œil aux ruines de La Forest avant de traverser le cours d’eau du Vançon via un petit pont suspendu. L’Ubac en arrière plan, c’est sur un chemin rocailleux que nous montons doucement jusqu’à la chapelle de Dromont, qui nous accueille pour la visite. Datant du 17ème siècle, elle est classée monument historique et recèlent quelques secrets à découvrir sur place, à l’image de sa crypte éponyme.

De la chapelle, nous prenons la route de St-Geniez pour un crochet jusqu’au village, adossé au pied du versant sud des massifs du Gouras et du Trainon. Dès le moyen-âge, le village est associé à Genies, l’un des plus anciens saints de Provence. On y rejoint le gîte d’Olivier, fervent cavalier pour profiter d’une fin d’après-midi posée.

De St-Geniez à Verdache

De St-Geniez, un taxi nous récupère pour éviter le bitume qui mène jusqu’à Feissal. Les couleurs automnales sont spectaculaires, mais je ne les vois qu’à demi-teinte à travers les vitres de l’ambulance. Heureusement ma frustration sera de courte durée avec notre arrêt à la sentinelle de la vallée du Vançon. Le soleil sort timidement de derrière la montagne nous offrant un spectacle dorée. La sentinelle, œuvre d’Andy Goldsworthy, se voit parée d’une auréole de brume un court instant. Le temps de capter la beauté de l’art corrélée à son environnement, nous reprenons notre sac à Feissal pour se laisser envoûter par les crêtes de Chine.

Le paysage se dénude offrant en toute simplicité les sommets captivants, à l’image des Monges. Au col de Clapouse, on profite d’une pause pour observer les aigles royaux, tandis que Les Écrins sortent à l’horizon. Nous laissons la « vieille bergerie de Chine » en contre-bas pour pique-niquer au refuge de Seignas. Le cadre est grandiose avec le sommet de l’Estrop en ligne de mire.

Nous redescendons doucement jusqu’au village de Barles, profitant des œuvres ça et là de Herman de Vries, nous rappelant d’observer l’environnement qui les entourent, telles des fenêtres sur un autre temps. De Barles, transfert à Verdaches chez Patrick et Alix au cœur du gîte de Flagustelle, où nous passons la soirée en bonne compagnie.

De Verdaches au refuge d’art du Vieil Esclangon

Nous partons vers 10h à vélo cette fois pour effleurer la vallée du Vançon de l’intérieur. Les arbres vert jaune orangé nous obligent à faire nos 15 kilomètres en 3h. Arrêt sur arrêt, nous pédalons des clues de Verdaches à celles de Barles et Péouré. Au bord de la route, nous découvrons le concept de l’artiste Paul Armand Gette et ses 0M. Un peu plus loin, c’est une sentinelle d’Andy Goldsworthy que nous étudions, lovée au cœur d’un bout de nature. Encore quelques coups de pédale et c’est au parking du Vélodrome que Patrick nous rend nos sacs en échange des vélos.

De là, il nous reste trois quart d’heure de marche pour rejoindre le refuge d’art qui nous accueille ce soir, celui du Vieil Esclangon. Nous déposons nos affaires au refuge pour monter au point de vue atteignable en 10 min, avant le coucher du soleil. Les lumières ont tamisé les lieux et nous admirons le vélodrome naturel devant nos yeux. L’endroit est à couper le souffle. Luc nous raconte qu’il y a plus de 20 millions d’années, la mer recouvrait la région et que le mouvement des plaques tectoniques avait dessiné les plissures que nous pouvons observer aujourd’hui.

Nous avons du mal à quitter ce promontoire nous offrant le plus beaux des paysages. Nous rallions notre refuge du soir pour admirer le serpent d’Andy Goldsworthy danser avec les flammes.

Du refuge d’art du Viel Esclangon à la ferme Bellon

Nous quittons le refuge d’art du Viel Esclangon pour découvrir les lignes naturelles qu’Andy Goldworthy a mis en valeur au coeur du refuge d’art du col de l’Escuichière. Nous gagnons ensuite le village Le Mousteiret pour le déjeuner, au cœur de la vallée de la Bléone. Après une belle pause, il est temps de gravir la crête de la Blache. Je prends les devants pour une petite montée à mon rythme et je profite du paysage en attendant mes deux compagnons de route. Les lumières du soir capturent de leurs douces lumières les sommets environnants. Mes yeux se posent enfin sur le toit de la ferme Bellon.

Nous entrons sans trop savoir à quoi nous attendre. Notre guide laisse notre imagination vagabonder au sous-sol, déambulant entre les pierres savamment posées pour former des ponts. Un jeu d’ombres se crée et les chauves-souris ont depuis longtemps pris possession des lieux. La ferme Bellon accueillait en 1944 les Mouvements Unis de Résistance. Mais suite à une dénonciation, les treize maquisards présents furent capturés par les allemands, qui mirent le feu en représailles. La ferme ne sera restaurée qu’en 2003 dans le cadre du projet Refuge d’Art.

De la ferme Bellon à Tartonne

Au petit matin, nous prenons le temps de faire quelques photos avec les chauves-souris et les lumières matinales. Puis le paysage s’ouvre sur ce qui semble être des carrières naturelles. Le gris contraste avec le vert des arbres et le chemin finit par se faufiler à travers la forêt. Nous continuons vers le Pas de l’Escayon puis le col de la Cine, qui offre des vues sur l’imposante montagne du Cheval Blanc.

Du col, on pourrait s’aventurer jusqu’au pic de Couard ou jusqu’au sommet de Cucuyon, mais nous préférons poursuivre vers la clue de la Peine, où un tunnel fut taillé au pic et à la mine, marquant un point de passage historique entre deux vallées. Le lieux est impressionnant ! La clue, creusée par le torrent des Gypsières, nous dévoile ses stries naturelles. Les roches tendres ont cédé à la force de l’eau mais le calcaire datant de la formation des Alpes, a résisté à l’érosion et au temps, nous laissant devant un spectacle naturel étonnant.

De Tartonne aux Dourbes

Après avoir passé la nuit au gîte des Robines, au cœur des montagnes de Tartonne, nous empruntons les petites routes goudronnées, pour rejoindre la sentinelle d’Andy Goldsworthy, en vallée de l’Asse. Cette œuvre indique la position de la faille du Défens, née il y a près de 200 millions d’années et aujourd’hui invisible.

Nous repartons vers Tartonne pour emprunter la route domaniale du Corton et entreprendre l’ascension de la barre des Dourbes, jusqu’au pas de Tartonne. Lorsque nous sortons la tête des arbres et prenons un peu de hauteur, les Alpes de Haute-Provence nous apparaissent dans toute leur splendeur. Le soleil couchant illumine la vallée. Nous devons nous dépêcher afin de rejoindre Les Dourbes avant la tombée de la nuit.

Des Dourbes à Digne-les-Bains

Des Dourbes, nous marchons sur le sol grisâtre des marnes noires vers notre dernier refuge d’art. A nos pieds se trouve un mélange d’argile et de calcaire qui daterait de 185 à 170 millions d’années. L’accumulation de sédiments dans un environnement pauvre en oxygène serait à l’origine de cette couleur noire. Il est difficile d’imaginer que la mer alpine y avait sa place, tandis que nous avançons sur ce plancher, presque lunaire.

Nous découvrons l’une des dernières œuvres d’Andy Goldsworthy au refuge d’art des Bains Thermaux, avant de rejoindre Digne-les-Bains en bord de route. Notre après-midi sera consacrée à la visite du musée Gassendi et notre aventure se clôturera au cœur de la magnifique Villa Gaïa.


J’étais partie sans attente, sans idée de ce que j’allais trouver lors de cette itinérance. J’y ai rencontré de sacrés personnages. J’y ai dévoré des paysages préalpins aux douces cambrures, accompagnés par le feu des couleurs automnales. Marcher. En apprendre plus sur le land art et la façon dont Andy Wordsworthy conjugue ses œuvres à leurs environnement. J’ai aimé arpenté les Alpes de Haute-Provence en belle compagnie et je sais qu’elles ont pris place sur ma liste pour de futures randonnées.

Un grand merci à Mathieu pour l’invitation ainsi qu’à l’Agence de Développement des Alpes de Haute Provence. Un petit clin d’œil à Luc, notre guide de caractère. Et pour suivre nos pas : organisez votre aventure sur le Refuge d’Art.

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