Je n’avais jamais entendu parler du Damaraland avant de rencontrer le copain de ma collègue volontaire à Swakopmund. Ce dernier travaille pour une ONG qui protège les éléphants du désert et se rend souvent dans ces terres pour faire cohabiter au mieux les éléphants et les hommes. Après un an en Côte d’Ivoire à travailler sur le sujet de la cohabitation homme/animal, son expérience m’a de suite parlé et j’ai eu envie de m’immerger au cœur du Damaraland.
De Swakopmund nous avions 4 jours. Quatre jours devant nous pour aller explorer l’intérieur des terres, quatre jours pour une introduction aux terres des Damaras. C’est peu mais au prix de la voiture de location et de notre engagement auprès d’une auberge de jeunesse, nous ne pouvions nous accorder plus de temps. Opter pour du stop sur un si court laps de temps, ne nous aurait pas permis de faire un tour si rapide. Les transports en commun sont rares en Namibie et la plupart des voyageurs optent pour une location bien moins chère dès Windhoek, la capitale.
Prêts avec quelques encas pour la route (et beaucoup d’eau), nous quittions le temps frais de Swakopmund sur la côte ouest, pour une météo plus sèche et chaude. A 30 min de là, nous étions déjà au cœur du dépaysement à observer le Moon landscape. La rivière Swakop y a creusé de jolies profondeurs à une époque lointaine, laissant aujourd’hui une impression de mission sur la lune, lorsqu’on se laisse marcher entre ses collines arides. Nous n’y avions point trouver de Welwitschia (je vous en parlerai plus tard au cours de ce voyage) mais un brin d’inspiration dans ce monde friable.
Après un pique-nique avec vue fabuleuse, nous reprenons la route vers Spitzkoppe. Les restes d’un ancien volcan apparaissent comme un mirage namibien dans l’immensité désertique du Damaraland Sud. Nous nous approchons doucement tandis que ces courbes orangé me rappellent celles des lieux sacrés australiens. Il me tarde d’en apprendre plus sur Spitzkoppe car je sens comme une connexion entre les traditions aborigènes et damaras. Avec le sentiment que ces derniers continuent à avoir un lien privilégié avec la nature dans un univers aride et au premier abord peu accueillant pour des vies humaines.
Avant d’en savoir plus, nous payons nos droits d’entrée au cœur du Parc national, qui est géré par le ministère de l’environnement et du tourisme namibien. La charmante dame à l’accueil nous fournit une carte et nous voilà livrés à nous-même pour explorer les environs. La carte est à télécharger ici.
Nous décidons de prendre à droite juste après la réception pour arriver jusqu’au « Bushmen Paradise« . Deux guides sont assis à l’ombre dans l’attente de touristes, car l’accès seuls y est interdit. Nous nous arrangeons à l’amiable sur le pourboire à venir, puis l’un d’eux nous emmène dans une épopée montante. Nous ne savions pas vraiment dans quoi nous nous engagions. Nous finissons cependant par grimper les flancs des montagnes Pontok, voisines du Mont Spitzkoppe, sous un soleil ardent pour rejoindre un coin frais à l’ombre: le Bushmen Paradise. Il porte bien son nom. Après une montée raide sur la pente granitiques orangé, nous profitons de cette pause fraiche et découvrons des peintures rupestres préhistoriques, vieilles de 2000 à 4000 ans. Le guide nous explique qu’elles étaient majestueuses avant que les touristes viennent les détériorer… et que c’est pour cela qu’une visite guidée était aujourd’hui imposée. Il nous raconte aussi que les « Bushmen », les plus anciens habitants de l’Afrique Australe, vivaient ici.
Les « Bochimans » en français ou peuple San, comme on préfère les nommer aujourd’hui, sont traditionnellement des chasseurs-cueilleurs. Ils se déplaçaient donc en fonction des pluies et on les connaissait comme « ceux qui suivent l’éclair ». Notre guide nous montre alors un endroit où l’eau a creusé la roche et nous indique que pendant la saison des pluies l’endroit se transforme en piscine naturelle et que le peuple San savait y venir au bon moment.
Nous sommes en plein saison des pluies pourtant, mais l’eau se fait de plus en plus rare nous conte-t-il. Un peu comme l’histoire du peuple San qui a subi un génocide énorme au cœur du pays. Les premiers à être arrivés sur leurs terres sont les Khoïkhoïs, peuple pastoral d’Afrique Australe. Afin d’élever leurs bêtes, ces derniers s’approprient les réserves d’eau et finissent par s’étendre sur la côte Atlantique. Les Khoikhois surnomment les San « peuple qui ramasse la terre » alors qu’eux-même seraient « hommes des hommes », imposant ainsi leur suprématie. Les Bantous, venant du centre-est du continent, agriculteurs et sédentaires, finissent par s’imposer sur le territoire au 15ème siècle et certains Khoïkhoïs, que l’on appelle aussi Nawas, sont contraints d’apprendre du peuple San, afin de survivre sur les terres arides dans lesquelles ils ont été repoussés et où l »élevage du bétail se fait compliquer. L’ arrivée des colons européens (hollandais au 17ème siècle puis Britannique) finira par réduire le territoire des San, au désert du Khalahari qui s’étend entre la Namibie, l’Afrique du Sud et le Bostwana. Le peuple San, peuple nomade n’ayant par conséquent aucun droit de propriétés sur les terres, sera continuellement chassés, rejetés et marginalisés. Il ne resterait aujourd’hui que 100 000 San sur l’ensemble de l’Afrique australe et seulement 3000 continueraient à vivre traditionnellement.
Nous redescendons la pente glissante avec le guide et je me sens légèrement coupable de venir sur ce lieu sans l’accord des premiers hommes qui y trouvaient répit, il y a fort longtemps. Mon intuition d’un lien avec les Aborigènes d’Australie se trouve confirmée, tant l’histoire me semble semblable et triste. J’aurais préféré avoir eu tort. Je vous invite d’ailleurs à lire cet article de l’ONG Survival International sur la situation du peuple San au Botswana, au 21ème siècle.
Nous retrouvons notre voiture et après nous avoir montré un Mamba noir mort la vieille, le serpent le plus venimeux d’Afrique, le guide nous propose de nous accompagner plus loin. Nous nous dirigeons alors vers le « Small Bushmen’s paradise » puis nous poussons le portail privé pour arpenter la réserve naturelle avec lui.
Les plaines orangé pailletées de buissons verts dénotent avec l’immensité alentour, nous accueillant dans sa splendeur. J’y aperçois mes premiers zèbres, qui semblent être des zèbres de Hartmann (Equus hartmannae), une sous-espèce de zèbre de montagnes. La rencontre est magique et me fait oublier pour quelques minutes ce que le guide vient de nous raconter.
Ce dernier plongé dans le Lonely Planet emprunté à l’auberge, nous guide à travers des chemins sans panneau pour ensuite nous faire revenir sur nos pas et nous montrer la célèbre arche naturelle, où se capturent de beaux couchers de soleil. Nous remercions notre guide du jour, que nous ramenons à la réception. Il vit à quelques pas au cœur du village Spitzkoppe où se trouve une école et même une clinique. Il nous laisse entendre que le tourisme est le seul moyen de trouver du travail dans le coin et qu’il se trouve chanceux de pouvoir participer à la conservation de cet environnement fabuleux, dans le Damaraland.
Nous installons notre campement à quelques pas de l’arche avant que le soleil ne s’efface derrière les montagnes de granit. Nous jouons avec les ombres, qui nous laissent entrevoir de belles histoires d’amour.
Il était une fois…
Après une nuit dans un lieu naturel splendide, quelque peu perturbé par le bruit d’un animal au pas feutré, nous quittons Spitzkoppe en direction du massif du Brandberg.
Nous arrivons au moment où le soleil pointe ses rayons au zénith, une heure peu recommandée donc pour entamer une balade, surtout en Namibie. Mais nous n’avions pas fait toute cette route pour rien et nous demandons à notre guide si la marche est longue et faisable par cette chaleur. Il nous assure que oui… après lui avoir proposé de l’eau, nous remplissons nos bouteilles, nous étalons notre crème solaire et partons avec nos chapeaux au milieu du Tsisab Ravine. Le lieu est splendide mais la chaleur étouffante. Notre guide est âgé, mais continue à marcher imperturbablement à travers les rochers pendant ces 40 longues minutes en compagnie des Damans (mammifères ressemblant aux marmottes). Il nous explique qu’il est possible de traverser les montagnes du Brandberg, pendant la saison sèche et d’atteindre le point culminant de la Namibie, le Königstein à 2573 m. Aventureuse, j’ai tout de même un peu de mal à imaginer une randonnée de 3-4 jours avec seulement quelques degrés en moins. Nous finissons tant bien que mal par atteindre une cavité fraiche, loin du soleil ardent où il fait bon se pauser. Cela tombe bien car des peintures rupestres de plus de 2000 ans y sont observables, dont la fameuse « White Lady » (la dame blanche qui serait en fait un homme San). Le ravin du Tsisab en contiendrait à lui tout seul plus de 45 000, préservés au cœur de 1000 abris rocheux. C’est que le Brandberg était un lieu sacré pour le peuple San.
Il est temps de quitter ce moment de fraicheur et de rebrousser chemin vers le parking, longeant l’ancien cours d’eau depuis bien longtemps asséché, qui traversait le massif. Tandis que nous nous éloignons de la « Montagne qui brûle », Dâures en Damara, le guide essaie de nous apprendre sa langue, qu’il appelle « Damaranama » ou « Khoïkhoï ». J’imagine que cela fait référence aux Namas, le plus grand groupe ethnique restant des Khoïkhoïs (je vous en parlais plus haut) dont ils auraient adopté le langage. C’est l’une des langues khoïsan, caractérisées par la présence de nombreuses consonnes à clic. Ils sont plusieurs groupes ethniques à parler la langue des clics et le guide nous explique qu’elle serait la plus vieille langue du monde, mère de toutes les autres. Il est vrai que pendant la première partie de la visite, il m’avait impressionné par la facilité avec laquelle il arrivait à passer d’une langue à l’autre, s’amusant à nous parler un peu français, un peu anglais, un peu espagnol sans trop d’accent. Arrivés au parking, il prendra le temps de me répéter les mots appris en chemin afin que je puisse les écrire.
Dictionnaire Damaranama
Madisa = Bonjour, comment vas-tu ?
Titakea = Je m’appelle
Titake franriga rua xura hâ = Je viens de France
Kai I Aio = merci beaucoup
Iuridaras = White Lady
‘ ! unbq = à prononcer « on y va » = qui signifie « avant-bras »
Les clics de langue sont retranscrits à l’aide de la ponctuation dans le langage Damara/nama.
Les Damaras, après les San, seraient les premiers habitants de ce qui est aujourd’hui connu comme la Namibie. Mais leur origine est encore mal connue. Ce qui est sûr c’est que de nombreuses vagues de migrations successives (Namas, Bantous, Européens) les ont contraints à se retrouver au cœur du Damaraland. Ce qui explique pourquoi certains parlent Damara/nama et d’autres la langue héréro. Les Héréros (ethnie du groupe Bantou) les auraient même réduit à l’esclavage avant le 19ème siècle.
Lorsque l’Afrique du Sud dirigeait le Sud-Ouest africain (aujourd’hui la Namibie), le Damaraland fut en 1970 constitué en bantoustan. Les bantoustans étaient des régions créées pendant l’apartheid, qui étaient réservées aux seules populations noires. En 1992, le Damaraland fut incorporé au cœur du Kunene, après l’apartheid. Aujourd’hui ce terme reste ancré et beaucoup d’artistes rencontrés dans les rues de Swakopmund me disaient venir du « Damaraland, terre aride où il y a très peu de travail ».
Décidément l’Histoire laisse des traces et se ressent encore aujourd’hui. Nous quittons notre guide que j’aurais pu écouter des heures, pour aller faire griller nos steaks qui vont finir par tourner dans la voiture, notre frigo nous ayant lâché. Un des autres guides présents sur place décide de nous prêter sa cuisine et nous finissons par partager notre repas. Je suis aux anges car il me semble plus difficile en Namibie de pouvoir échanger dans la rue avec des passants, comme j’aurais pu le faire spontanément en Côte d’Ivoire.
Nous reprenons la route pour aller poser notre tente au Madisa camp, lieu dont nous avait parlé ma collègue lorsqu’on échangeait à propos des éléphants du désert. Nous arrivons trop tard pour le tour du jour, qui a lieu le matin. Avec mon compagnon de voyage, nous choisissons de relâcher la pression autour d’une bière, de profiter des hamacs de cet oasis au milieu de désert et décidons de ne pas opter pour le tour le lendemain un brin trop cher pour notre budget de 4 jours. Je n’ai plus les prix en tête mais je n’ai eu que des échos positifs quant à ce tour. Il faut avouer que la Namibie n’est pas forcément une destination « pour petits budgets ».
Nous ne nous laissons pas abattre et profitant de nos boissons fraiches et locales après notre marche torride sous 40° degrés. Le lieu est splendide, les douches à l’air libre une merveille et nous profitons d’un « braaï végétarien » sous l’œil aiguisé des Calaos à bec jaune.
Le braaï est un barbecue, terme remontant à l’époque des Boers, les fermiers sud-africains blancs.
Le lendemain, nous continuons notre route vers la « Petrified forest », qui semble plus intéresser mon compagnon de route que les fameuses gravures rupestres de Twyfelfontein, un site archéologique inscrit en 2007 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
J’avais gardé un bon souvenir de la Petrified forest de Curio Bay en Nouvelle-Zélande. Ici en revanche les fossiles de troncs d’arbres pétrifiés s’étendent au creux de la poussière et l’eau a longtemps été remplacé par le désert aride. Notre visite est obligatoirement guidée (compter 100 NAB en 2020 par personne) et finalement très courte.
Heureusement, nous prenons le temps d’observer une Welwistchia Mirabilis, plante unique et endémique à la Namibie et l’Angola. Dans des conditions climatiques de plus en plus arides, elles survivraient grâce aux brouillards venus de la Côte Atlantique.
Nous rejoignons ensuite la « Burnt mountain » ou montagne brulée, où nous devons là aussi s’acquitter d’un droit d’entrée (50 NAB en 2020 par personne, avec accès aux Organ Pipes). On a l’impression de se retrouver au cœur d’une carrière cramée par le soleil ardent, mais ce ne serait que des roches volcaniques.
Un brin déçus par nos trouvailles du jour, nous reprenons la route vers notre dernière destination: Torra Bay. Nous imaginions alors un bon repas au bord de l’océan, loin de la chaleur aride de l’intérieur des Terres.
A Sprinbokwasser, la route est barrée et un permis devient obligatoire pour poursuivre au cœur du Parc national de la Skeleton Coast. Pour ceux qui ne parlent pas anglais, la « Côte des Squelettes » est caractérisée ainsi à cause des squelettes de phoques et de baleines qui jonchaient les plages, à l’époque où la chasse était encore possible, mais aussi à cause des carcasses de bateau que l’on retrouve le long de la côte.
Le brouillard qui se dessine à l’horizon dénote avec les paysages arides précédant. Il est facile d’oublier que l’océan n’est finalement pas si loin, la Welwistchia de la forêt pétrifiée l’attestant pourtant. J’entrevois mes premières dunes namibiennes et les paysages qui se détachent ne manquent pas de diversités. Je m’attendais à une route monotone pleine de sable à perte de vue et pourtant les couleurs dévoilent leurs nuances du gris foncés au rose perlé de Terrace Bay à Swakopmund.
Arrivés à Torra Bay, nous n’avions pas d’autres choix que de remonter au nord jusqu’à Terrace Bay afin de nous ravitailler en sandwichs croustillants. Le camping de Torra Bay offre tout de même de quoi se faire un repas, mais les étagères semblaient bien vides la veille de la fermeture du camping. Nous avons eu la chance de ne pas trouver le lieu fermé à une journée près ! Et quel camping ! Un brin désolé à quelques pas de l’océan, nous avons pu apercevoir une hyène au loin mais pas de lions.
C’est la première fois que j’entendais parler des lions du désert. Certains se seraient apparemment acclimatés aux conditions désertiques. Une lionne et son petit avait apparemment passé la fin de la saison sèche à roder autour de Torra Bay. Mais ce jour là, les campeurs du jours semblaient trop occupés à ranger leurs affaires de pêche et le soleil commençait déjà à se coucher à l’horizon, nous stoppant dans notre désir de partir à leur recherche.
Nous profitons de nos nouvelles rencontres et passons la soirée avec les employés du Namibia Wildlife Resorts (NWR) propriétaire du camping où nous nous trouvons et d’autres ressorts au cœur des lieux naturels magiques du pays. Un braaï et quelques bières pour finir cette épopée et il sera tant de clore le chapitre de ces quatre jours.
Nous reprenons la route tôt le lendemain et je m’endors bercée par la conduite de mon compagnon de voyage (encore merci !), fatiguée par les émotions de ce voyage. Nous ne nous arrêterons qu’à Henties Bay pour un repas digne de ce nom, avant de finir notre périple à Swakopmund où le boulot nous attend. Je n’aurais pas vu le panneau indiquant Cape Cross, lieu accueillant plus de 150 000 otaries, plongée depuis longtemps dans des rêves de Namibie. Je sais que ce n’était finalement qu’un aperçu de ce long voyage tant attendu au Sud-Ouest du continent africain.
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