On parle beaucoup des chimpanzés et gorilles de l’Ouganda, des Parcs nationaux de l’Afrique du Sud mais très peu de l’un des plus grands vestiges de forêt tropicale primaire de l’Afrique de l’Ouest. Après avoir passé une année en Côte d’Ivoire, je peux vous garantir que le Parc national de Taï est un joyau vert, véritable poumon de cette partie du monde, qu’il est encore possible de découvrir tout en limitant son impact sur son environnement.
Vous aimez le chocolat ? Oui, moi aussi. Mais c’est en réalisant que la Côte d’Ivoire avait perdu 80% de ses forêts à son profit en un demi-siècle, que je me suis rendue compte que notre consommation du précieux croquant noir avait tout autant d’impact que l’huile de palme dans d’autres pays. D’autant plus que si vous achetez du chocolat équitable, il est dur de garantir qu’il n’y a pas des enfants derrière au travail. Mais tout n’est pas noir, au lait ou blanc.
Prenons l’exemple des palmiers à huile en Côte d’Ivoire: la filière ferait vivre 2 millions d’ivoiriens en 2020, soit directement ou indirectement 10% de la population. 60 % de la production d’huile de palme du pays viendrait de petites productions. Face aux géants asiatiques, la Côte d’Ivoire ne représente que 2% de la production mondiale et son exportation se fait globalement sur le marché africain. Il est donc difficile de mettre tout le monde dans le même panier lorsqu’il s’agit de consommation. Il est, en effet, bon de noter que l’huile de palme est utilisé quotidiennement par les ivoiriens (sans compter les feuilles pour les constructions locales et le délicieux vin de palme), contrairement au cacao. Hors la Côte d’Ivoire en est le premier producteur mondial, avec 40 % du marché !
Le cacao, qui représente 15% du PIB ivoirien, reste néanmoins vital pour l’économie du pays, avec deux tiers des emplois directs et indirects selon la Banque mondiale. Aujourd’hui il est donc d’autant plus important de faire cohabiter ces cultures (cacao, palmiers à huile, hévéa) économiquement stables pour les populations locales, avec le Parc national de Taï. Mais il ne faudrait pas qu’elles continuent à empiéter sur les rescapés de la main de l’homme.
C’est l’OIPR, l’Office Ivoirien des Parcs et Réserves, qui manage le Parc National de Taï et les autres parcs de la région. La Côte d’Ivoire en compte 8: le parc national de la Comoë, le parc national de la Marahoué, le parc national du Mont Peko, le parc national d’Azagny, le parc national du Mont Sangbé, le parc national du Banco (au cœur même d’Abidjan) et le seul parc national ivoirien marin, celui des îles éhotilé.
Le Parc national de Taï lui, se niche à l’Ouest de la Côte d’Ivoire entre la ville de Taï qui lui a donné son nom et celle de Soubré plus à l’Est. Visiter le parc national, c’est pénétrer au cœur d’une canopée de plus de 5300 km2, regorgeant d’une biodiversité exceptionnelle. C’est d’ailleurs sans surprise que le Parc National de Taï a été inscrit en tant que Réserve de la Biosphère en 1978 et classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité en 1981 par l’UNESCO. Joyau naturel de la Côte d’Ivoire, le parc représente l’un des plus grands vestiges de forêt tropicale primaire de l’Afrique de l’Ouest.
La faune et la flore y sont riches et variées. On y découvre beaucoup d’espèces endémiques à cette partie du monde, dont 200 espèces de plantes, 24 espèces d’oiseaux et d’importants mammifères. L’hippopotame Pygmée, par exemple, présent dans le Parc national de Taï, existe aujourd’hui à l’état sauvage seulement dans quatre pays (la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée). Le parc est aussi l’un des rares endroits où l’on trouve une diversité aussi importante de primates. Onze espèces de primates peuvent être rencontrées dont les chimpanzés et les mangabeys.
Les Chimpanzés du Parc national de Taï n’ont pas la même histoire que ceux (une vingtaine) qui vivaient sur l’Île aux Chimpanzés à Grand-Lahou, dont Ponso est le seul rescapé aujourd’hui. Ces derniers avaient été utilisés dans des expérimentations médicales sur le cancer et transférés sur l’île pour une seconde vie. C’est d’ailleurs au cœur de l’écomusée de Taï que j’ai appris que les chimpanzés partageaient 98% de notre ADN, expliquant donc ces expérimentations médicales terribles et le fait qu’il faille porter un masque lors de nos observations dans le parc. En effet, en raison de la proximité des chimpanzés mais aussi des mangabeys avec l’homme, ces derniers sont particulièrement vulnérables aux maladies respiratoires comme le rhume, la grippe ou la pneumonie. Il est d’ailleurs interdit de venir les observer si vous êtes malades.
Dans le Parc national de Taï ce sont de véritables animaux sauvages que l’on rencontre. Ces derniers ont des comportements uniques à toute l’Afrique : ils utilisent 26 outils différents pour casser leurs noix et se nourrir !
Se déplaçant sur des distances importantes et friands de fruits, ils contribuent à la dissémination des graines et jouent un rôle essentiel dans la protection de la forêt. Et pourtant le chimpanzé a vu sa population diminuer de 80% en 20 ans, et est classé espèce en danger critique d’extinction sur la liste rouge d’UICN, depuis septembre 2016.
Pour l’observation des chimpanzés, c’est du village de Djouroutou au sud qu’il faudra accéder au Parc national de Taï. En 2019, lorsque nous arrivions à Djouroutou, nous étions installés à l’Ecotel Touraco, un joli hébergement en pleine nature en lisière de forêt. Nous passions la nuit dans l’un des bungalows avant de nous rendre au sein du Parc national de Taï. Il fallait alors compter 2h de marche pour accéder au campement au cœur même du parc.
Puis après installation dans un joli bungalow sur pilotis en bois, nous allions grimper le Mont Niénokoué. Du haut de ses 396 mètres, cet inselberg est sacré pour le peuple Patokola et l’ascension se mérite. Après 1h à 1h30 d’ascension, la vue sur la canopée est exceptionnelle. Personnellement je n’ai pas pu y aller au lever du soleil, mais j’ai eu le droit à la pluie. Le guide avait alors tout prévu et après avoir patienté à l’abri sous une bâche noire, nous étions émerveillés par la montée des nuages et le soleil passant au travers pour un spectacle exceptionnel.
Ce n’est que le lendemain matin à l’aube que nous allions observer les célèbres chimpanzés. Nous devions nous lever très tôt afin de pouvoir les apercevoir au réveil lorsqu’ils descendaient de leurs nids. Oui, vous avez bien lu ! Les chimpanzés dorment en hauteur et se créent un nid en tressant des branches entre elles. Cela permet aux guides qui les suivent toute la journée pour récolter des données, de savoir où ils dorment (les chimpanzés changeant de campement), afin de permettre aux visiteurs de pouvoir les observer le jour d’après.
Les chimpanzés se déplacent vite et il faut être en bonne condition physique pour pouvoir les suivre à travers une forêt dense.
J’écris au passé car aujourd’hui le séjour au sud du parc est géré par un privé, toujours en partenariat avec l’OIPR, et l’Ecotel Touraco a changé de nom. Lorsque je vivais encore en Côte d’Ivoire, des changements étaient en cours (rénovation de l’hôtel, mise en place de tentes safari sur le campement, etc.). L’observation des chimpanzés doit vraisemblablement se passer de la même façon, mais je ne connais pas les derniers aménagements faits à ce jour. Pour en savoir plus: Taï Lodge
Les chimpanzés ne sont pas les seuls à pouvoir être observés au cœur du parc et j’ai, d’autant plus appréciée l’observation des Mangabeys, qui se laissent plus facilement photographiés lorsqu’on est équipé d’un petit appareil photo comme le mien. Néanmoins il vous faudra respecter les distances de sécurité et suivre les guides qui sont là pour assurer votre sécurité mais aussi celle des animaux.
Essentiellement présents en Afrique de l’Ouest, les mangabeys sont listés comme espèce vulnérable d’après l’UICN, à cause de la déforestation et du braconnage. Le suivi du groupe de mangabeys pouvant être observé, est quotidien. Il est assuré par les écoguides, délivrant une présence positive au sein du parc et permettant de pouvoir localiser plus facilement le groupe, lorsque les visiteurs viennent en observer leurs membres dans leur habitat naturel.
L’entrée au cœur du Parc national de Taï se fait cette fois-ci au nord du parc, à partir de la ville au même nom.
De l’entrée du parc, il faut compter 2h30 de marche pour accéder au campement en pleine forêt primaire.
Après un bon repas local préparé par « l’homme ou la femme de camp », il est temps de suivre les écoguides pour un circuit ethnobotanique. On y découvre des arbres splendides et leurs utilisations anciennes locales. Aujourd’hui ces arbres étant protégés, il devient impossible de les utiliser au cœur du parc. Ainsi en plus d’avoir perdu un poumon vert dû à la déforestation, la Côte d’Ivoire perd également quelques traditions ancestrales. Tout est lié !
Après cette balade en forêt à la découverte de la flore, il est temps de rentrer au campement pour se reposer jusqu’au lendemain.
Le jour d’après: réveil matinal pour aller observer les mangabeys dans leur milieu naturel. Un moment privilégié dans la vie discrète d’animaux sauvages.
Panthères, éléphants de forêt, hippopotames pygmée… ces animaux vivent également au cœur du parc. Néanmoins il est très rare de les croiser.
Si nous pouvons approcher le groupe de chimpanzés et de mangabeys dans le Parc national de Taï, c’est seulement car ces derniers ont été étudiés de nombreuses années par des scientifiques et continuent à être suivis par les écoguides. Ce qui explique qu’aujourd’hui, ils tolèrent la présence de l’homme.
Alors on peut se demander si cela ne les rend pas plus vulnérables au braconnage car habitués à voir des hommes à proximité ?
Surement. Mais il faut savoir que les visiteurs encouragent la présence quotidienne des guides, ce qui impacte positivement le parc en faisant diminuer le braconnage. Les écoguides, qui trouvent ici un moyen de subsistance et qui ont grandi au contact de la forêt tropicale, sauront vous transmettre leurs savoirs, pour comprendre au mieux les enjeux de préservation de ces espèces en danger. Sensibiliser via le tourisme est aussi une démarche voulue par le projet. En montrant son impact économique, on aide à mettre en exergue l’importance de la préservation des forêts ivoiriennes. Malheureusement c’est souvent la recherche de profits qui nuit aux poumons de la terre, et le montrer sous cet angle permet d’accroître sa conservation. En suivant deux groupes d’animaux sauvages, on aide aussi à sauver leurs habitats et ainsi à préserver l’ensemble de la faune vivant au cœur du parc.
Je reste nostalgique de ces nuits en forêts sous la tente à simplement écouter les bruits de la nature et à me réveiller au chant du Calao ou aux cris des singes au loin. Et cette expérience ne serait simplement pas la même sans ces guides adorables qui ont rendu mon séjour inoubliable.
Nicole et Delphine prennent une pause à côté d’un arbre multi-centenaire qu’elles ont l’habitude de côtoyer. Elles nous offrent leur bonne humeur, leurs connaissances sur la faune et la flore et leur expérience au cœur du parc. Mais en plus de ça, c’est toute la chaleur ivoirienne que l’on savoure en échangeant avec elles. Un sourire, un regard attentif, une écoute douce, une complicité dans l’équipe que je ne peux simplement qu’évoquer. Il faudrait que vous preniez le temps de découvrir ce beau pays et d’en rencontrer ses habitants pour mieux comprendre. Saviez-vous que la Côte d’Ivoire comptait plus de 60 ethnies différentes ? La richesse de ce pays provient autant de sa nature que de ses populations locales. Après l’observation des animaux sauvages au cœur du parc, l’apprentissage n’est jamais fini. Si vous avez envie de voyager autour d’un bon repas local et frais ou autour du feu le soir, les écoguides restent ouvert aux rencontres et au partage. C’est le moment des conversations à cœur ouvert, des rires et peut-être même d’un chant ou d’une danse parmi les douceurs de la forêt. Vous en ressortirez avec une nouvelle énergie… mais rassurez-vous, vous aurez aussi le droit de dormir. 🙂
Lancé en 2010 en partenariat avec les populations locales, la Wild Chimpanzee Foundation (WCF, ONG consacrée à la préservation des chimpanzés et de leur habitat) et l’OIPR, le projet d’écotourisme communautaire a permis d’offrir à une région enclavée, une nouvelle source de revenus. Ainsi les communautés riveraines bénéficient directement de la présence du parc, en assurant sa protection et en limitant par exemple la plantation de cacao illégale. De plus la parité est de mise au cœur du projet.
A quelques minutes de Taï la ville, se trouve le village de Gouléako Trois Cailloux. Ce village traditionnel Oubi, une ethnie dont on parle peu en Côte d’Ivoire, offre une totale immersion au cœur des traditions africaines.
C’est avec Mr Sio que l’on découvre les plantes médicinales traditionnellement utilisées ou que l’on écoute les histoires d’un temps passé. Un véritable personnage, passionné et passionnant !
Il est possible de dormir dans de vraies cases, aménagées confortablement pour un véritable moment de déconnexion. Mais ce que je préfère par dessus tout, c’est quand la soirée traditionnelle se prépare et que le village s’anime d’effervescence. On s’assoie et on se laisse initier aux danses rituelles, où l’on retrouve les animaux du Parc national de Taï ou aux jeux de combats. Tous les habitants sont là et c’est une véritable fête dans laquelle on est convié. On oublie le temps d’une soirée que nous sommes seulement des visiteurs, et on se laisse entrainer dans la joie et la bonne humeur.
Venir jusqu’au Parc national de Taï est en soi une aventure. Se plonger au cœur de l’une des plus grandes forêts primaires restantes dans cette partie du monde, c’est également remonter le temps, à la découverte d’arbres multi-centenaires, là où les chemins ne sont pas encore tout tracés par la main de l’homme. Le Parc national de Taï se sont des rencontres extraordinaires, celles d’espèces fragilisées par la déforestation mais aussi celles qui cherchent encore aujourd’hui à les protéger. C’est tout un équilibre qui essaye de s’installer et je vous invite à y participer.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site Ecotourisme Taï, qui organise les seuls séjours officiels au nord du Parc national de Taï avec l’OIPR. Attention, il n’est pas possible de visiter le Parc national seul et une limite d’âge est imposé afin de garantir la sécurité de chacun et le confort des animaux en forêt. 🌿
Merci pour cet article riche en découvertes et qui donne envie. Je vous invite à découvrir les forêts guinéennes vous serez ravies .
Merci pour votre message. Je n’y manquerais pas si un jour je parviens jusqu’en Guinée (à moins que vous ne parliez des forêts relatives au Golfe de Guinée).
Je n’en ai eu que des échos positifs en terme de biodiversité et de conservation.
Bonjour Lucie, comment avais-tu fait pour rejoindre Djouroutou ? Te souviens-tu de la durée ?
Merci, Isabelle (le voyage du calao)
Bonjour Isabelle, ravie de te voir par ici. 🙂 Je suis allée plusieurs fois à Djouroutou, par différents moyens.
1. Je suis passée une fois par le nord via Guiglo puis Taï, d’où on loue des motos pour rejoindre Djouroutou. En voiture c’est plus compliqué car la route est souvent détruite par les camions qui passent et la saison des pluies (en moto dans tous les cas, ça passe). Pas infaisable cependant, en se renseignant auprès de l’OIPR peut-être, qui est sur place et pourra te donner des infos sur la route Taï-Djouroutou.
2. Je suis passée deux fois par le sud, qui est souvent conseillé car plus court (compter tout de même 8h de route). On arrive à San-Pedro (par l’intérieur des terres, à moins que la côtière ait été refaite ?), on pousse jusqu’à Tabou et de Tabou, on remonte par la piste qui passe à Grabo puis Djouroutou. La première fois s’est bien passée. La seconde fois nous avons été bloquée par un immense lac, qui s’était formé suite à de fortes pluies. Privilégiez donc Djouroutou en saison sèche. On peut (éventuellement) raccourcir le trajet en prenant un vol jusqu’à San Pedro. Dans tous les cas, il faudra compter une journée de route pour rejoindre le sud du Parc national de Taï. Là encore tu peux te renseigner auprès de l’OIPR ou du Taï Forest Lodge, qui gère les visites au départ de Djouroutou.
Vous partez bientôt ?
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