J’avais vécu 5 mois dans le Val d’Azun, du moins à quelques kilomètres de sa frontière dans une ville que l’on pourrait confondre avec celle en bord de mer. Ici pourtant c’était bien les montagnes qui m’entouraient. Il suffisait que j’ouvre les volets de mon studio-chalet pour apercevoir au loin, un sommet caché entre deux nuages. À l’époque, mon voisin était un parapentiste et ma voisine, une fille d’origine allemande qui partait seule à la montagne. J’étais impressionnée et ne pensais pas arriver à faire comme elle un jour, et pourtant.
Mercredi soir sonnait l’heure de fin du travail. Je retrouvais une covoitureuse partant pour Tarbes, qui me déposait à une sortie d’autoroute, afin que je rejoigne mon ancienne colocataire habitant dans le coin. La soirée au coin du feu fut brève, et munie d’un nouveau sifflet et d’une carte IGN, je m’endormais pleine de promesse quant au lendemain.
Mes amis prirent la route pour me déposer au départ de ma randonnée : à Arrens-Marsous.
Pleine de gratitude à ne savoir qu’en faire, mes yeux se parèrent de quelques larmes lorsque nous approchions de Lourdes et de la route nous menant vers les hauts sommets enneigés. Les montagnes se dévoilaient dans la lumière automnale du petit matin, splendides de leur teint lumineux et brutes d’une beauté naturelle, voire hautaine. Je savais alors que tout irait bien, que cette folie d’un lundi soir, après que mon compagnon de rando me lâche, n’en était pas une… et que les angoisses des autres n’étaient plus miennes. Je ressentais au plus profond de moi l’appel sauvage du Val d’Azun et le bonheur de me retrouver seule dans les montagnes, chose qui ne m’était pas arrivée depuis mon aventure sur le GR10.
C’est donc juste après la chapelle de Pouey-Laun que je me laisse happer par le GR10, qui monte doucement sur le Chemin de la Reine Hortense. Mon ancienne coloc est partie en me disant d’un sourire que j’avais bien choisi mon point de départ pour le Tour du Val d’Azun !
Je me lance à l’aventure, tout en sachant impunément que ce ne sera pas aussi engagée que les autres randonnées que j’avais pu faire cet été. Et pourtant, une cheville foulée, une rencontre infortune sont si vite arrivées. C’est d’ailleurs à quelques pas du refuge de Gabizos que je ferais ma première rencontre. Un patou sur la route ne se laisse point impressionner par ma confiance soudaine. Il aboie, grogne et s’approche sans vergogne. Je m’arrête pour qu’il puisse me sentir, lui parle doucement et m’éloigne vers mon objectif. Pas de troupeaux en vue pourtant… seul le Pic du Gabizos me dévoilera sa splendeur hivernale, bien plus blanche que la laine de mouton.
Je finis doucement par atteindre le Col de Saucède, après être descendue dans la boue et avoir évité les détails gelés. Dans la montée, j’aperçois un couple partant à l’Ouest à l’assaut de la neige. Je suis contente qu’elle ne vienne pas jusqu’à moi. C’était mon appréhension de fin de saison automnale, où la limite du risque est difficile à cerner. Heureusement le Tour du Val d’Azun ne dépasse pas les 1600 m d’altitude et mi-novembre il fallait quelques dénivelés de plus pour l’atteindre.
Je rejoins la route menant vers le Col du Soulor sur quelques mètres. De la cabane de Bettorte à la cabane du Litor, j’entends siffler au loin. Inquiète j’imagine quelqu’un en détresse qui cherche un peu d’aide pour se sortir d’une impasse. Mais le sifflement est récurrent et plus je m’approche, plus j’ai le sentiment que la saison de la chasse corrèle clairement avec le bruit adjacent. J’avais oublié !! Dans quoi me suis-je embarquée ?
Heureusement le Cirque de Litor me captive et je remets ma rencontre avec les chasseurs à plus tard. Malgré le ciel couvert, les couleurs automnales bercent l’atmosphère d’une rêverie joyeuse. Happée par la nature et l’apaisement qu’elle me procure, je décide de faire ma pause déjeuner, adossée à une pierre, admirant en continu les sommets blancs bordés d’arbres aux couleurs ébène.
Je reprends le chemin goudronné, quittant le GR10 pour un GR de pays qui serpente pour rejoindre l’Ouzoum, que je vais suivre un moment sous une pluie fine et légère. Au moment de m’éloigner vers la droite, Arbéost ne me semble plus très loin et le soleil apparaît me réchauffant le visage. Je rejoins doucement les zones pastorales, où un Mr sur son tracteur me targue d’un grand sourire. Que j’aime la vie ici, les gens du coin, paisibles, montagnards, accueillants. J’ai envie de me poser là sur l’herbe, à faire un bain de vitamine D, mais les chiens me sortent à nouveau de mes songes.
Ici la vie a repris, j’avance donc jusqu’à ma destination finale. À Arbéost il m’était impossible de trouver un logement, la Petite Jeanne étant fermée. C’est à 3 km plus loin que je dormirai, chez un couchsurfeur qui m’attend au croisement du village pour me montrer le chemin que je dois prendre pour rejoindre le quartier Hougarou à Ferrières. Avant le gite d’étape, j’emprunte le chemin descendant, rejoignant à nouveau la rivière Ouzoum et un parcours… dans la boue. Les 3 derniers kilomètres me sont peu agréables, mais il suffira que je pousse la porte de sa maison, pour me souvenir que je suis là au bon endroit.
Un poêle flamboyant, une ambiance chalet… je savais instinctivement que la soirée que j’allais passer avec cet inconnu, me ramènerait inexorablement au cœur de mes voyages d’antan et me ferait oublier l’année anxiogène que nous venions de vivre.
Je quitte mon hôte après un gâteau au potimarron et quelques châtaignes, pour retrouver l’automne grandeur nature. J’ai préféré prendre la route pour retourner sur Arbéost au lieu de faire un bain de boue ou d’opter pour un raccourci, qui m’aurait fait manquer un spot de rêve pour le déjeuner.
Le chemin monte abrupt dans la forêt et il me faut un brin d’élan pour ne pas glisser. Je ne suis pas d’aussi bonne humeur que la veille et toutes les rancœurs de la semaine dégoulinent à mesure de mon avancée. J’ai toujours pensé que la randonnée était un beau moyen de méditer, d’exorciser les choses qui ne nous permettent pas d’avancer. Sur les chemins en solitaire on n’a pas le choix : il faut continuer coûte que coûte jusqu’à la prochaine habitation.
Le paysage finit par s’ouvrir sur ces merveilleuses montagnes. Tout sourire, je croise une dame assise sur le muret d’un gîte, visage face au soleil et au spectacle. « Ce chien est très gentil », me dit-elle. « Il appartient au fermier en bas ». Nous échangeons sur les splendeurs du coin et je continue ma route en compagnie de ce chien qui ne me quittera plus jusqu’au Col de Soum.
Il connait le chemin. Il serpente à travers la boue et je le suis péniblement à l’affut d’un coin sec. Ce n’est pas évident dans une zone dite marécageuse, mais honnêtement je pensais que ça serait pire en cette mi-saison. Je jongle de touffes d’herbes en touffes d’herbes, croisant le ruisseau de Hougarou jusqu’à atteindre un faux plat. Je me rends compte que les collines que j’aperçois en face ne sont que les crètes sur lesquelles je dois continuer. Il me reste encore quelques dénivelés positifs avant de rejoindre le Lac de Soum, dont mon hôte de la veille ne m’avait vanté que les algues vertes qui semblaient assécher ses profondeurs.
Je décide de prendre de la hauteur et de boucler les 1000 m de D+ de la journée en rejoignant le col au même nom. Il fait froid, le vent s’est levé mais je finis par trouver le spot idéal à côté du chemin montant sur les crêtes. C’est d’ailleurs là que le chien finira par repartir, satisfait de m’avoir accompagné sur la partie la plus éreintante de la journée.
J’en prends plein les yeux ! Les sommets brillent de mile feux, tandis que le lac dénote de ses couleurs flashies. Je profite de la vue et de mon déjeuner, avant de sombrer 20 minutes dans une sieste réconfortante. Oups ! Il est temps de rejoindre le Col de Cantau via la Crète de la Serre, qui offre un redémarrage en douceur de 1532 m à 1543 m. Je me faufile ensuite sur le chemin qui monte vers la gauche, juste après la cabane de Cantau, où je croise deux cavaliers faisant une pause avec leurs chevaux. Et oui, il est tout à fait possible de parcourir le Val d’Azun à cheval en empruntant des chemins alternatifs !
Le chemin est plutôt sympa sur les contreforts de la montagne jusqu’au Col de Berbeillet, puis celui de Bazès. Là, le sentier est barré par des filets de protection et j’aurais pu ne pas le voir ! Je fais glisser mon sac dessous et me contorsionne pour laisser les parents et leurs enfants venus en balade crier plus à l’Est. Je suis le calme de la marche en solitaire, descendant jusqu’au refuge de Hougarou, où je partagerai le dortoir avec une dame faisant le chemin à l’inverse de moi.
Attirée par le poêle de la salle principale, j’y passerai ma soirée feuilletant les magazines pyrénéens me ramenant à mon aventure espagnole, des Encantats à Ordesa. Je retrouverai la dame et une famille de 4 convives, partageant notre diner fait maison autour d’échanges de randonneurs. Du Vercors au Vignemale, en passant par le Chemin de St-Jacques, il nous aurait fallu plus d’une soirée pour faire le tour de nos aventures montagnardes. Requinquée par un brin de compagnie, je m’endors paisiblement jusqu’aux ronflements intempestifs de ma voisine.
C’est déjà la dernière étape de mon aventure. Avant que vous vous mépreniez, il faut savoir que le Tour du Val d’Azun se fait normalement sur 5 jours continuant jusqu’au Lac d’Estaing. Le temps me manquait et finalement je semblais avoir opté pour la partie la plus ouverte sur les paysages alentours. Du moins c’est ce que je croyais jusqu’à ce que le brouillard s’en mêle.
Je quitte le refuge par un sentier dans la forêt, avant de suivre une déviation sur la route pour retrouver le Tour du Val d’Azun. Je me réengage sous les arbres jusqu’au Col de Couret. Mais c’était sans compter sur la compagnie des chasseurs !
J’entends les chiens s’agiter, munis de leur grelots autour du cou, leur maître sifflant et les appelant doucement pour qu’ils reviennent au pas. Les chiens me voient et j’espère plus que tout que ces hommes aux bonnets orange finiront par me dire bonjour. Le premier me fait un signe de la main, me rassurant pour le reste de la balade. Du moins c’est ce que je pensais… le chemin serpente dans la forêt. Je passe une nouvelle voiture et je continue tranquillement sans bruit alentour. C’était sans compter le coup de feu qui me fit faire un bon de 3 mètres !
Pestant aussi fort que je le pouvais, je finis par prendre mon sifflet pour signaler ma présence, espérant que ces joyeux lurons n’auront pas trop abusé sur le pinard dès les premières lueurs du jour. Oui, on les voit sur les collines ariégeoises, tellement torchés qu’ils ne marchent plus droit. Bref… vous avez surement deviné ma joie à l’idée de me balader en compagnie de tel personnage. Heureusement le chemin s’éloigne rapidement et je ne croiserai plus personne aux couleurs fluo orangé. À la vue des trois biches dont on m’avait conté la rencontre la veille, je finis par ne plus être aux aguets rejoignant finalement le Col du Couret.
C’est ici que j’aurais dû monter sur les arrêtes m’offrant une vue à 360° sur le Val d’Azun. Et bien non ! La météo en aura décidé autrement et la journée ensoleillée de la veille a laissé place aux nuages volants des montagnes. Le brouillard me contraint à la sécurité. Je rejoindrai le Col du Liar via le chemin adjacent, longeant la forêt d’Aragnat. Du col, j’entamerai la descente jusqu’à Arras-en-Lavedan par pistes, chemins et sentiers.
Je rejoindrai Sophie qui tient la chambre d’hôtes LeGentilhomme à la douceur et gentillesse du coin. Puis je retrouverai mon nouvel ami d’Arbéost au Café-librairie du village pour un petit repas au chaud. J’y croiserai un ancien guide à la retraite, échangeant sur cette boîte qui, il y a plus de 12 ans, avait fini par me donner ma première chance dans un secteur que je plaçais encore sur un piédestal. J’en ai parcouru du chemin depuis, de ma première randonnée en solitaire en Nouvelle-Zélande, à mon premier trek en Tasmanie et les quelques expériences pyrénéennes que j’ai vécu depuis.
Il est temps pour moi de quitter ce coin de paradis, cette vallée paisible et heureuse qui semble encore dormir dans une écume joyeuse. Je lève le pouce au bord de la route, me laissant amener jusqu’à Argelès-Gazost par une femme revenue dans la région, pour continuer à profiter de son indépendance tout en étant jeune maman. Sur le rond-point partant pour Lourdes, j’offrirai mon plus beau sourire sous une pluie fine espérant que quelqu’un voudra bien me prendre jusqu’à la gare, où mon train m’attend. Finalement, un passionné d’oiseaux s’arrêtera me ramenant jusqu’à Tarbes, profitant de quelques minutes en plus pour échanger sur nos passions communes et lointaines. Je sourirai intérieurement à cette idée de rencontres éphémères qui m’avaient tant manqué. Ces connexions que l’on arrive à créer avec de parfaits inconnus, redonnant du baume au cœur dans un monde coupé des autres depuis un certain temps.
Dans le Val d’Azun, je me suis remise à rêver. Je n’ osais plus depuis mon départ de Sao-Tomé. Trois jours de marche et une gratitude immense envers ceux qui avaient permis cette aventure : mon ami qui m’avait laissé tomber, mon ancienne colocataire au cœur d’or, ce couchsurfer sans qui je ne serais parti, ce chien devenu compagnon de chemin et cette nature bienveillante qui redonne confiance. D’une fleur fanée, vidée par l’atmosphère entêtante d’un pays meurtri, j’ai fini par éclore et par me demander quand est-ce que je reviendrai. Satisfaite, la sensation d’avoir bouclé la boucle me laisse tout de même avec une pointe de tristesse : celle de la nostalgie du Val d’Azun, cet eden pyrénéen où il ferait bon vivre.
Je vous aurais prévenu… quand on fait le Tour du Val d’Azun, on ne repart jamais indifférent !
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