Tour du Pic du Midi d’Ossau, 4 jours de trek dans les Pyrénées

Nous devions partir dans le Néouvieille, à l’assaut des lacs dont on me parle tant depuis quelques années. Je les attends depuis un moment car nous devions nous rencontrer lors de ma traversée des Pyrénées qui s’est vu écourtée deux ans en arrière. Au vu de la météo, je propose à mon compagnon de route de nous rapprocher du Pic du Midi d’Ossau, découvert en septembre dernier en rentrant d’Espagne. Nous repérons quelques cabanes, regardons la météo pour la centième fois et tentons l’aventure sur le week-end de l’Ascension.

Du lac de Bious-Artigues au refuge d’Ayous

△ 5.7 km / 570 m D+ , 9 m D-

Après quelques heures de route au départ de Toulouse, nous arrivons sur le parking du lac Bious-Artigues qui est déjà rempli de voitures. Pourtant le temps n’est pas au beau fixe. Le ciel est parsemé de nuages éparses et nous espérons passer entre les gouttes en ce début de trek. L’ assombrissement est encore au loin et nous tentons de passer par le Col d’Aas de Bielle afin de rejoindre le Col d’Ayous pour une après-midi teintée de challenge. Nous n’étions pas hyper confiants à l’idée de la neige prévue à partir de 1800 m… c’est pourquoi lorsque nous croisons des randonneuses nous leur demandons ce qui s’en vient. « Nous avons fait demi-tour au col, la neige est là et les traces sont absentes ». Nous décidons de rebrousser chemin jusqu’au lac et de rejoindre le GR10, par la cabane du Col Long d’Ayous.

C’était finalement une bonne idée, car les gouttes commencent déjà à tomber, légères sans qu’elles ne viennent refroidir mon envie de randonner. Nous continuons vers la cabane Roumassot, où les premiers lacs d’Ayous apparaissent bien calmes face à la météo qui change. Du lac Roumassot, nous longeons au loin celui du Miey et le lac Gentau, avant de bifurquer à gauche sur le PR, laissant le GR10 s’éloigner vers la droite. La pluie se fait de plus en plus intense, le ciel s’est assombri et pourtant nous apercevons encore le Pic du Midi d’Ossau derrière les nuages.

Le refuge d’Ayous n’est plus très loin. Après avoir admiré la petite cabane qui s’est faite privée à quelques mètres de la cascade, nous rejoignons le bruit de l’eau pour remonter à sa source et suivre le sentier jusqu’au refuge. Le vent s’est levé et nous apercevons un gars essayant tant bien que mal de monter son abri pour la nuit, tout sourire avec vue sur le Pic du Midi, caché derrière de gros nuages. Le paysage est devenu irréel. L’impression de me trouver au cœur d’une Islande sauvage en plein hiver me vient à l’esprit et je souris à la chance que j’ai, d’avoir eu une collège généreuse quant à mon jour de congés.

Nous finissons par arriver au refuge, sous un froid prenant. La partie hiver est belle et bien ouverte et personne à l’horizon. Tout est propre et je choisis le matelas qui accueillera mon sac de couchage gonflant. Je suis contente de le retrouver après quelques mois de repos. Ce début de trek annonce une nouvelle saison d’aventures, où la marche berce ce besoin de reconnexion au temps.
La nuit prend entièrement place, tandis que la neige saupoudre l’entrée de notre demeure du soir. Personne ne viendra s’aventurer dans cet antre au milieu des montagnes et nous passerons la soirée à discuter, jusqu’à ce qu’il se fasse tard et que les souris viennent hanter ma nuit.

Du refuge d’Ayous au refuge de Pombie

△ 13.74 km / 807 m D+ , 751 m D-

Le lendemain, la neige a pris place et nous restons au chaud espérant une éclaircie. Mon compagnon de route sort pour humer l’air et croise des randonneurs qui attendent midi pour partir sur le même chemin que nous. « Le temps doit changer » nous affirment-ils. Après un petit-déjeuner et une sortie de duvet difficile, nous voilà dehors sous la neige à avancer sur le PR longeant le lac Bersau.

La vue est bouchée. Heureusement que les traces du groupe parti plus tôt le matin sont encore visibles. Il est 11h et le temps ne s’est toujours pas éclairci. Nous avançons doucement sous la neige, et je me sens comme une enfant écoutant les bruits étouffés alentours et mes pieds faisant craquer le doux manteau neigeux encore fragile déposé cette nuit. Je suis optimiste… les conditions météorologiques ne m’atteignent pas, je profite juste de la joie d’être au dehors loin d’un écran d’ordinateur, à profiter du paysage brouillardeux que nous offre la nature. Je me sens légère, et même si ma nuit fut courte, mon sac semble flotter au dessus de mon dos.

L’arrivée au Lac Bersau gelé est splendide. Les nuances de blanc prennent la pause le temps d’une photo, tandis que le soleil semble vouloir prendre place à travers le ciel grisonnant. Les traces de pas se font imprécises. Le groupe semble d’être perdu au niveau du lac, bifurquant vers la gauche au lieu de longer ses bords duveteux. Nous sortons la carte pour vérifier et retrouver des traces un peu plus loin nous menant vers ce qui semble être le printemps. Ce deuxième jour de trek s’apparente à une année: nous nous réveillons en hiver pour découvrir quelques heures après le printemps, puis l’été.

Lorsque nous laissons le PR qui continue vers l’Espagne et que nous empruntons le GR 108 vers le Lac Casterau, tout change. Nous croisons des randonneurs nous expliquant que la neige n’est plus. Il suffira de descendre sur un chemin boueux et parfois glissant pour nous retrouver au lac et observer les nuages dansant. Le soleil joue avec eux, transformant la neige en une pluie fine.

Nous continuons notre descente et la vallée se dégage doucement. La vue s’ouvre sur une palette de vert intense. Le blanc a laissé place au printemps et nous profitons du soleil pour nous poser dans l’herbe afin de pique-niquer. Un peu plus tard, toujours émerveillés par ce revirement de situation, nous atteignons la Cabane du Cap de la Hosse pour nous arrêter un instant. « Dormons-nous ici ce soir ? Ou continuons-nous ? » Il n’est que 15h mais le prochain endroit sec pour dormir se nomme le refuge de Pombie.

Nous décidons de poursuivre afin de profiter du beau temps qui ne pourra guère tenir au vue des prévisions météos du week-end. Il faut déjà repartir pour atteindre le refuge avant la nuit. Au détour de la cabane de Cap de Pount, nous croisons le groupe de jeunes qui nous ont offert leurs traces matinales. Ils ont l’air perdu. Ils ont fait quelques détours non voulus avec une carte peu détaillée et finissent par nous suivre de près dans la montée. 500 m de dénivelé positif nous attendent jusqu’au lac de Peyreget. Avec une matinée neigeuse dans les pattes, mon sac léger du matin se transforme en fardeau imposant.

Heureusement nous finissons par arriver au lac, où je m’octroie une pause afin de recharger les batteries et prendre quelques photos. Le spot est génial pour un bivouac. Ce trek de cabanes en cabanes, me donnent envie de revenir avec ma tente mais je sais les lieux un peu trop fréquentés en plein été.
Les jeunes ont fini par nous rattraper et passent devant nous. Nous les suivons.
Je me délecte des vues de l’Ossau, jusque-là caché sous le brouillard ou derrière un nuage. Cet après-midi il se déguise en extraverti, nous laissant entrevoir une montée difficile jusqu’au sommet. Heureusement nous n’avons pas prévu de l’arpenter et nous nous laissons charmer par ses douceurs sauvages.

Au bout d’un moment, je finis par trouver le temps long. « Es-tu sûr que nous avons pris le bon chemin ? Les jeunes de devant se sont maintes fois perdus ». « Oui nous devrions arriver au refuge d’en pas très longtemps ». Un refuge se présente à nous au loin, avec une route bitumée. « C’est bizarre ». Nous continuons tant bien que mal et mon compagnon finit par sortir sa carte. « Regarde, le Col de l’Iou, nous l’avons passé ! lui dis-je. Il me semblait bien que l’Ossau avait changé de profil ». Nous pensions passer par le col de Peyreget, mais en suivant les jeunes et sans voir d’autres sentiers, nous arrivons par surprise au Col de Soum de Pombie. Le tour du Pic de Peyreget finit tout de même par nous guider vers le refuge du soir et nous aprendrons plus tard que le Col de Peyreget était finalement impraticable.

Du refuge de Pombie à la cabane de Magnabaigt

△ 4.7 km / 100 m D+ , 439 m D-

Nous passons la nuit au refuge de Pombie entourés de jeunes ronfleurs. Heureusement le sommeil finit par m’emporter après une journée 4 saisons, qui m’offrit l’observation de marmottes pyrénéennes et de belles prises de vue, clôturée par un petit apéro en bonne compagnie. La montagne rend les gens abordables et sympathiques, et ça qu’est-ce que ça fait du bien !

Le lendemain, la journée s’annonce courte. Nous pourrions retourner au parking du lac de Bious-Artigues, mais nous avons encore une journée devant nous. Nous nous dirigeons vers le Col du Suzon. La neige fait à nouveau son apparition via quelques plaques éparses. Les traces du Sahara quelques mois après que le sable fut entrainé par les vents, sont encore là. La lumière est belle et les montagnes réapparaissent mystérieuses après s’être dévoilée lors d’une après-midi ensoleillée.

Nous finissons par arriver jusqu’à la cabane de Magnabaigt, à côté d’un torrent gelé. L’ occasion de se rafraichir après 2 jours de marches de s’octroyer un cocon de confort au travers d’une pluie fine qui rejoint le périple. Un aller-retour dans la forêt mitoyenne pour du bois et c’est le poêle qui finit par réchauffer nos cœurs bercés par la magie des lieux. Des livres, des bouteilles, des bougies… la vie semble vive lorsque le berger rejoint sa cabane l’été. Je me rêve avec quelques bêtes au milieu des montagnes, puis je me souviens que la vie peut être rude en solitaire sous les orages. Le feu crépite et demande beaucoup d’attention, tandis qu’il me ramène en Tasmanie au milieu de l’Overland Track. Quelques heures à tenir. Un brin d’histoires. Une douce musique de Sao-Tomé et c’est l’heure d’opter pour un couscous royal.

De la cabane de Magnabaigt au lac de Bious-Artigues

△ 2.7 km / 52 m D+ , 278 m D-

Notre trek de 4 jours prend fin. Le Tour du Midi d’Ossau peut se faire en une seule journée. Mais cela serait gâcher la déconnexion totale que nous amène ce pic majestueux des Pyrénées Béarnaises. Prendre son temps. Rêvasser à travers un temps changeant. Apercevoir le sommet derrière un nuage. Le retrouver lors d’une éclaircie. Se surprendre à rigoler du temps qui passe. L’impression d’être partie un mois au bout du monde, alors que non, on est seulement à quelques heures de Toulouse.

L’ arrivée au Lac de Bious-Artigues se sera faite en compagnie des bouquetins. Les chaussures à peine changées que la pluie revient. Le retour se fera sous une symphonie chaotique et mon ventre se serrera de tristesse à l’idée de m’éloigner à nouveau des montagnes et de cette échappée belle vécue le temps d’un week-end.

Rencontre littéraire: Les Éditions Prunelle

J’ai découvert Blandine Carsalade, en venant m’installer dans le Tarn. C’est une publication sur les réseaux sociaux, qui m’a interpellé et puis au fil de mon boulot, j’ai eu l’occasion de l’interviewer. Son projet me parlait tellement que j’avais envie de partager avec vous son portrait, comme une ode vers un monde innovant certes, mais surtout apaisant.

Du monde de la finance au monde du livre


Blandine me raconte qu’elle a fait un master en finance de marché et qu’elle a travaillé pour de grandes banques. C’est en devenant maman, qu’elle découvre la littérature jeunesse. Elle me confie n’avoir pas trouvé de livres qui parlaient des sujets, qu’elle souhaitait aborder avec ses enfants.

Un jour, en lisant Blanche Neige à sa fille, celle-ci lui dit: « maman si j’avais un miroir, je lui poserais plein de questions ». D’une affirmation innocente, s’ouvrit un monde du possible, celui d’écrire des histoires qui dé-formatent et qui donnent du sens.

Du livre de Blanche Neige, Blandine réécrit l’histoire: celle de deux femmes qui se battent, non plus pour la beauté, mais pour le pouvoir. Et pourquoi pas au final ? Pourquoi ne pas donner aux jeunes filles l’envie de s’élever dans leur carrière professionnelle ou dans leur vie ? Pourquoi ne pas donner aux garçons ou aux jeunes enfants sans étiquettes, la liberté de se voir les uns et les autres, comme ils souhaiteraient l’être ?

Des livres aux sujets d’actualité

Les livres de Blandine sont toujours inspirés de ses enfants. Un jour, elle marchait dans la rue avec sa fille, quand celle-ci lui tira le bras et lui dit: « maman, tu as vu le monsieur qui tendait la main ? ». Et bien non, le SDF était devenu invisible à ses yeux, sans qu’elle ne s’en aperçoive. Les adultes ne les voient plus… les enfants eux, se trouvent encore à leur hauteur et ne peuvent détourner le regard. Cet évènement a inspiré à Blandine, la série « Mr L’Ombre », retraçant l’histoire d’un sans domicile fixe.

De sujets en sujets, les Éditions Prunelle ont grandi et cherchent à inspirer la jeunesse. Les livres abordent la question de l’huile de palme, des animaux, etc. Blandine m’explique que dans l’un de ses livres, un chien y raconte son adoption et puis son abandon… Une belle manière d’éduquer et d’amener à la connaissance des plus jeunes, les problèmes de notre société actuelle.

Des livres formatés à l’image d’une société

Mon interviewée a grandi dans les livres. Elle passait son temps à la bibliothèque de son quartier, plongée dès 9 ans dans les grands classiques, à l’image de Victor Hugo. L’ envie de transmettre l’amour de la littérature à ses enfants, l’a poussé à entreprendre et à faire bouger les choses.
Elle pense que nos lectures nous formatent, et en ouvrant de nouvelles pages, elle cherchent à ce que les enfants puissent s’épanouir au-delà des histoires, leur offrant l’opportunité de repenser un monde différent. « La lecture permet de sortir de la noirceur de la vie quotidienne », me confie-t-elle et chacun devrait pouvoir donner le sens qu’il souhaite à la sienne.

Et quand je lui demande pourquoi avoir choisi des e-books…

Le livre: un contenu, non un support

Blandine s’est posée la question de la responsabilité des parents face au numérique. Puis elle s’est dit que la technologie était là et qu’elle était faite pour rester. D’après elle, « beaucoup de jeunes ne lisent plus et restent scotchés sur leur écran ». Autant que la technologie grandisse avec les enfants à bon escient.

Les Éditions Prunelle proposent des e-books de qualité afin de rendre la lecture accessible et ludique au plus grand nombre. L’ avantage du numérique, c’est qu’il peut proposer des contenus adaptés à ceux qui ont des problèmes de lecture. Par exemple, un enfant peut utiliser l’audio, tout en déchiffrant et repérant les mots. Un enfant dyslexique pourra retrouver sa lecture facilitée, avec une police adaptée (les éditions étant en partenariat avec une entreprise, qui a développé un logiciel d’intelligence artificielle à ce sujet). Un enfant autiste se dirigera plus vers une tablette qu’un livre papier, me dit-elle.

De Gaillac à l’international

Les Éditions Prunelle comptent aujourd’hui près de 300 livres. Blandine m’explique qu’il y a pour le moment plus de livres en anglais qu’en français, car le marché anglo-saxon est plus mature. Elle est d’ailleurs entrain de s’implanter au Canada et espère promouvoir ses éditions sur le continent Africain. Des versions bilingues anglais/français sont disponibles actuellement et des traductions en espagnol devraient sortir prochainement. Le e-book reste une belle façon d’apprendre une langue: en lisant en français et en écoutant la version audio en anglais, par exemple.


C’est à travers des histoires que j’aime sensibiliser… des histoires de rencontres, de voyage pour espérer éveiller mon lecteur à travers des mots. Pour Blandine, le but est similaire: éveiller, stimuler sur des sujets de société, de cause animale, écologique ou environnementale, pour que nos enfants d’aujourd’hui deviennent des acteurs du changement de demain.

Poème du soir

Une journée banale ou presque.
J’ai enfin prévu de me lever à 7h du matin.
Pourtant nous sommes samedi, un jour de week-end.
Mais j’ai besoin de partir prendre l’air.

L’ eau m’est monté à la tête.
Ou peut-être la bouteille de vin entamée de la veille.
Oserais-je écrire que j’ai bu un verre toute seule ?
Seule face à une série qui parle d’âme sœur ?

La journée fut douce et ensoleillée.
J’ai repris la randonnée un brin enflammée.
Je m’étais dit que les 15 km et les 600m de dénivelé,
seraient sans doute un bien paitre trophée.

Se surestimer ? Pour gagner en expérience ou en maturité ?
L’ envie seulement de s’aimer pour ce que l’on est.
Jamais se comparer, toujours avancer.
Et pourtant dans le regard de l’autre, on se voit blessé.

Le vin blanc me monte à la tête.
Peut-être que c’est comme ça que vivent les artistes.
Seules dans cette dualité animale,
Celle qui vous donne des ailes et vous les reprennent.

De haut en bas, comme sur les chemins.
Montant et descendant comme les notes de cœur,
qui s’enflamment puis se font une raison.
Le verre est presque vide.

Faudrait-il à nouveau le remplir ?
Ou le laisser au repos en solitaire,
jusqu’au Printemps prochain ?
Faut-il encore que cicatrisent ces états d’âmes incertains ?

Je referme la bouteille et me rêve au printemps 2019.
C’était la fin d’une année tumultueuse.
Mais j’étais vivante et insoumise.
Encore libre de rêver à danser, aimer et chanter.

Aujourd’hui je suis une âme sèche,
qui ne trouve plus la richesse au cœur des montagnes,
qui trouve la solitude fade,
comme cette bouteille qu’elle vient de refermer,
pour de meilleurs lendemains.

Escale à Sao-Tomé-et-Principe

Lorsque j’ai demandé mon visa pour l’Angola, il fallait que je puisse prouver que j’allais quittais le pays à une date précise. Je ne me voyais pas acheter un « faux » billet d’avion comme certains sites le proposent, mais je n’avais pas envie non plus de quitter le pays par voix aérienne. J’avais vu un reportage sur Sao-Tomé un jour qui se targuait d’avoir le meilleur chocolat du monde. L’idée fit son chemin et je m’étais renseignée afin de savoir s’il était possible de rejoindre cet archipel, planté au cœur du Golfe de Guinée, en bateau. La réponse semblait négative au vue de la trajectoire des containeurs qui partaient du nord au sud et les embarcations qui pouvaient être sujettes à piraterie. Le climat international commençait à devenir flou sur les chaines nationales européennes et je mettais mes responsabilités écologiques de côté pour m’envoler de l’Angola jusqu’à Sao-Tomé.

Des débuts chaotiques

Je me souviens avoir pris un taxi de nuit pour l’aéroport de Luanda. J’étais triste de quitter ce pays où je me sentais comme chez moi, sans pour autant en maitriser la langue. Le vol fut rapide, le passage à la frontière également et le visa gratuit pour une quinzaine de jours fut tamponnée rapidement. On ne m’a même pas demandé la preuve d’un vol retour… si j’avais su, je ne me serais pas précipité la veille du départ pour le réserver (spoiler: il ne me sera jamais remboursé). J’arrivais donc tard le soir, vers minuit. Il était dimanche ou peut-être lundi. J’avais contacté le seul couchsurfer du pays, qui m’avait proposé de me récupérer de nuit. A peine sortie de l’aéroport, trois personnes me firent signe de la main. Je m’approchais et rencontrais F. l’italien, sa copine française et un ami à eux français également. Ils m’accueillaient chaleureusement et le couple m’embarqua à une demi-heure de là dans leur nouvelle maison.

J’avais quitté la chaleur supportable de l’Angola, pour me retrouver dans l’humidité Sao-Toméenne. Mon esprit vagabonda une année et quelques mois en arrière, lorsque je faisais mes premiers pas en Côte d’Ivoire de nuit sous une chaleur étouffante. Sur la petite île, ça aurait pu être la fièvre, la tête embrouillée depuis que mon hôte luandaise était tombée malade. Je m’endormis rapidement, bien trop faible pour penser à quoi que ce soit.

Le lendemain, je me prépare un petit-déj tandis que mes hôtes sont déjà au travail. La française vient me voir et me demande mon programme de la journée. Je suis tellement fatiguée par ce rhume qui se présage que je lui dis que je prévois de faire quelques courses et de partir humer l’ambiance de la capitale. Elle m’accompagne, mais je la sens mécontente et stressée. On fait nos emplettes, je change mes sous dans la rue et je décide de rentrer avec elle. Premier jour à Sao-Tomé et j’ai le sentiment d’être un boulet pour mes hôtes. Je leur propose de cuisiner un truc, ils refusent gentiment. L’italien doit passer à l’hôpital faire un test de paludisme car il a de la fièvre depuis quelques jours et se sent patraque. J’en profite pour me poser derrière l’ordinateur pour faire les recherches que je n’ai pas pris le temps de faire plus tôt, espérant retrouver ma forme olympique. Ils rentrent alors avec un masque sur le visage. F. n’a pas le paludisme et sous-entend qu’il a peut-être la COVID. Nos contacts ont été limités. Ils veulent que je parte. Je leur demande si je peux rester au moins ce soir, le temps de me retourner.

Le surlendemain je pars au centre ville, après avoir contacté leur ami français pour le rencontrer. Je suis crevée, je n’ai pas la force de trouver une solution d’urgence pour ces prochains jours. J’ai juste envie de dormir, de boire du thé et de rester enfermée devant un ventilateur toute la journée. Le français est sympa, il me rappelle ce militaire rencontré un soir de festival à Montpellier. Il me propose de passer chez lui pour le déjeuner, afin que je rencontre les enfants qu’il accueille à la journée. Je me laisse guider, profite de ce moment sans penser à la suite. Le français me dit qu’au pire il peut me prêter une chambre le temps que je me décide et je lui propose un coup de main pour son site Internet en échange. Le deal est scellé pour le lendemain.

Le soir je déménagerais en urgence dans un hôtel du coin, après un au-revoir furtif auprès de mes couchsurfers. La culpabilité m’envahit. Etais-je si peu sympathique pour qu’ils réagissent de cette façon ? Est-ce le stress de la saison qui jouait en ma défaveur ? L’ambiance électrique d’une fièvre inconnue, le début d’une pandémie qui profilait son aura ? Je ne le saurais pas.

Sao-Tomé et la route du nord

Avant d’emménager chez le français, je laisse mes affaires à la réception pour partir en excursion avec une agence locale. C’est une amie angolaise qui m’avait passé le numéro du guide. D. parle anglais et nous nous retrouvons à l’hôtel où il me récupère pour partir sur la route du nord.

Nous roulons jusqu’à Ponta Fernao Dias pour ensuite rejoindre Morro Peixe par les petites routes de sable. De Morro Peixe, nous rejoignons Lagoa Azul pour nous baigner. L’île de Sao-Tomé offre à cet endroit un bout de terre enclavé qui dessine un lagon naturel de ses eaux turquoise. D. me dit de faire attention aux oursins. Il m’avoue avoir oublié le masque et le tuba pour me faire profiter des fonds marins. Je plongerais dans les eaux délicieuses pour nager un instant, puis sortirais pour gouter la bière locale et discuter avec les artisans. Je leur explique dans mon « portugnol » hésitant que leurs œuvres sont magnifiques, mais que je prévois de remonter la Côte Ouest africaine, afin de rejoindre la Côte d’Ivoire avec un petit sac pour seul compagnon. Déçus, ils décident de m’offrir un souvenir de Sao-Tomé pour que je n’oublie pas mon voyage dans leur doux pays. Comment le pourrais-je avec un peuple si généreux ?

Séchés, nous filons jusqu’à Neves, où il est temps de goûter la spécialité du coin: le crabe du restaurant Le Santola. L’endroit ne paie pas de mine pour un occidental et pourtant, d’expérience, je sais que c’est dans ce genre de lieu que l’on trouve la meilleure cuisine. Nous montons à l’étage de cette belle maison colorée pour nous installer sur l’une des tables vides. Les crabes nous sont servis avec de petits morceaux de pain aillés, accompagnés de marteaux en bois légers pour accéder à la chair de la pêche du jour. D. m’explique comment faire et m’impressionne par sa dextérité. Il a déjà fini son crabe que je suis à peine entrain de commencer le mien. Il rigole gentiment et attend que je finisse.

Après cette pause exquise, nous continuons sur la route qui mène à Santa Catarina. D. me montre le monument marquant la découverte de Sao Tomé puis m’initie à la Roça de Diago Vaz, avant de rejoindre le tunnel, où notre balade s’arrête. Nous n’irons pas jusqu’au bout de la route, ni marcher vers la Cascade de Ponta Figo. Cette journée fut une belle introduction à la petite île, mais je reste sur ma faim. Il est temps de rejoindre mon nouveau colocataire et de récupérer un moment.

Que faire à Sao-Tomé, la capitale ?

Entre temps, mon vol reliant Sao-Tomé à Abidjan s’est vu annulé (le Ghana ayant fermé ses frontières). Je prends contact avec la Consule sur place pour avoir écho des directives françaises. Quelques heures plus tôt les messages affluaient me disant de rentrer au plus vite (Macron ayant fait son fameux discours relatif au 1er confinement). Dans un pays où le mot d’ordre est « leve, leve » (doucement doucement), le stress de mes amis français finit par me gagner. Essayant de faire la part des choses, je pars en matinée explorer la capitale à pied, afin de prendre le temps de contempler, de souffler, de profiter de l’océan et des embruns salés. Je décide de rejoindre le musée de la ville en passant par la cathédrale et l’espace Cacau, où je découvre une exposition d’art magnifique et des panneaux explicatifs sur l’histoire du Cacao.

Marcher me fait du bien et j’avance pensive vers le musée national, mêlé au Fort de Sao Sebastiao (St Sébastien). Un gamin m’interpelle. Il me parle avec un grand sourire. J’ai le cœur lourd. Je lui dis que je veux visiter le musée. Il me demande d’où je viens et ce que je fais ici. Je ne parle pas portugais, il connait quelques mots de français. Il mène la conversation avec fluidité et son énergie positive débordante me requinque. Je finis par le suivre au cœur du musée, où il m’explique à demi-mot ce qui s’y trouve. A la fin je dois me décharger de 50 dobras pour régler ma visite. Il me présente alors à une jeune femme qui est – je le comprendrais quelques minutes plus tard – la guide officielle. Je n’ai plus le temps pour la suivre et revisiter les différentes salles du musée. Je dois rentrer rejoindre le français qui m’attend pour le repas du midi avec les enfants, dont il s’occupe. Le gamin s’avère être plus âgé que je ne le pensais. Il me dira à nouveau qu’il peut m’emmener dans le sud. On échangera nos numéros pour convenir d’un itinéraire, si jamais je décidais de rester.

Je passerais l’après-midi à jouer aux échecs avec les gosses accueillis par le français. Je me fais battre à pleine couture et en profite pour peaufiner mon portugais. Mon nouveau vol conseillé très fortement par la Consule, pris pour rentrer en France, se verra annulé. Je ne sais combien de temps je vais rester à Sao- Tomé.

Sao-Tomé et la route du sud

Je décide alors de recontacter ce jeune homme rencontré au musée, M. On a tout prévu: l’itinéraire, la moto, le casque et le coût de ces deux jours vers le sud. Le français insiste pour rencontrer M. et me confirme alors que je peux partir en toute confiance. Nous quittons la capitale pour la route longeant la Côte Est, jusqu’à la pointe méridionale de l’île paradisiaque.

1er jour: de Sao Tomé à Porto Alegre

Nous faisons notre premier stop au cœur de la roça Agua Ize, puis au niveau du Boca do Inferno ou « bouche de l’enfer ». Nous continuons plus au sud pour rejoindre Sao Joao dos Angolares et sa magnifique vue sur les hauteurs (il parait qu’on y mange bien). Enfin c’est au tour de la cascade de Pesqueira, avant de rejoindre Malanza pour un bon repas. Nous y rencontrons Suzanne qui nous cuisine de fabuleux poissons braisés avec du bon pain de fruit, puis nous lui promettons de revenir le lendemain. Nous passons l’après-midi à rouler de plages en plages, de Praia Cabana, à Praia Ilhame jusqu’à Praia Piscina où nous nous baignons. L’ eau est fraiche et la mer agitée. Je suis rincée par ces heures de route en moto, il est temps de rejoindre mon hébergement du soir sur la plage de Jalé, où se trouve l’écolodge au même nom. Celui-ci est complet, mais ils ont une tente à me prêter, qu’ils planteront à côté de celle accueillant les bénévoles de l’association Marapa qui s’occupent de la protection des tortues de mer sur place. M. repartira à Porto Alegre pour la nuit et me certifiera qu’aucune sortie d’observation n’est organisé ce soir-là. Le lendemain j’apprendrais que les bébés tortues avaient finalement été relâchés dans la nuit.

2ème jour: l’île de Rolas

Un nouveau jour s’offre à nous et nous avions prévu de rejoindre l’île de Rolas. Accessible depuis l’écolodge de Jalé (pour 375 dobras en 2020) ou depuis l’écolodge de Praia Inhame (pour 250 dobras si vous êtes clients ou 300 dobras si vous venez de l’extérieur et êtes moins de 4 personnes), M. m’emmène à Porto Alegre pour aller directement négocier avec les pêcheurs. Ces derniers nous embarqueront pour 250 dobras. La traversée est splendide. M. décide de sauter du bateau en plein océan pour le simple plaisir de nager dans cette eau limpide. J’ai alors l’image du bonheur a l’état pur: celle d’un jeune homme tout sourire qui profite de la nature, riant seul aux éclats face à mon visage ébahi. On le laisse nager un peu avant qu’il ne remonte dans le bateau. Nous finissons par arriver et le conducteur nous accompagne le temps de notre montée vers le « centre du monde« . Après avoir bu quelques noix de coco fraiches, j’admire la carte faite de mosaïque à mes pieds. M. m’explique que le méridien de Greenwich et la ligne de l’équateur se retrouvent ici. Le symbole est beau et la vue sublime, je m’y sens bien. M. me fait rebrousser chemin au cœur de la forêt et m’entraine vers la plage. L’ autre jeune rejoint son bateau et nous promet de venir nous chercher dans quelques heures. Nous sommes presque seul sur la Paia Café où un couple se fait servir son déjeuner. Il ne manque que le masque et le tuba pour profiter de ce lieu splendide. Je suis beaucoup moins sensible aux plages qu’aux montagnes et pourtant l’île de Rolas me dévoile l’une des plus belles plages intimistes que j’ai pu découvrir jusque ici.

Nous finissons par quitter l’île pour retourner vers la ville de Sao-Tomé et retrouvons Suzanne qui nous a encore préparé un succulent repas. Cette fois accompagné de riz, son plat me tiendra pour toute la journée. 200 dobras pour 2 personnes… et une joie communicative qui n’a pas de prix. Après ce repas, ils insistent tous pour que je prenne une douche: « mais si, après la plage tu seras plus à l’aise ! ». Gênée, je finis par accepter l’offre de Suzanne, heureuse de pouvoir me faire sentir à la maison. Un seau rempli d’eau claire, du savon, le tout s’écoulant dans le trou des toilettes. Toute neuve, nous repartons vers la capitale et je promets à cette belle femme de parler d’elle. La fin de la journée arrive rapidement et nous devons reprendre la route avant que la nuit ne tombe. Nous arriverons sur la capitale bien tard et je dirais à M. que ce n’est pas un au-revoir.

Sao-Tomé et la route du centre

Les jours suivants, l’atmosphère change. Les gens commencent à me dévisager dans la rue. Jusque-là pacifiques et souriants, certains hommes m’agressent verbalement en me surnommant « coronavirus » et en me demandant où est mon masque. Un vol de rapatriement a été mis en place et tous les français non résidents sont priés d’aller s’inscrire auprès de la TAP. Je passe mes journées à stresser à chaque message du groupe whatssap que la consule vient de créer. J’ai peu de temps pour échanger avec le français et les enfants qui viennent tous les jours à la maison. Mon rhume imaginaire finit par reprendre le dessus. M. s’offre comme cette boule d’air frais quotidienne, qu’on n’avait pas demandé et qui, pourtant, devient si vitale. Il me dit de relativiser, de profiter de l’instant présent, mais comment profiter de chaque moment lorsqu’on n’a pas de date fatidique ? Vous savez celle qui permet de programmer les prochains jours, de savoir si l’on rentre ou pas ?

M. me propose de partir pour la journée découvrir le centre de l’île, vers Monte Café où son père vit. La route est courte comparée au sud. J’insiste pour faire la randonnée qui nous mènera au Lagoa Amélia, pour découvrir une infime partie du Parc naturel Ôbo (qui recouvre quand même 30% de l’île de Sao Tomé !). M. n’aime pas marcher et me certifie qu’il n’y a pas grand chose à voir. Pourtant il m’y emmènera.

Ce jour-là, les nuages s’épaississent et ne présagent rien de bon. Pourtant je suis ravie d’avoir le nez dehors, loin de la pression de la petite capitale (et de ces histoires de rapatriement). Nous marchons et la pluie commence à tomber. L’ eau traverse chaque parcelle de nos vêtements tandis que la culpabilité imprègne mes pores. « Pauvre M. j’ai insisté pour faire cette randonnée et maintenant il va être tout trempé ». Nous continuons coûte que coûte et je souris doucement en repensant au Parc national de Taï, où nous avions été surpris par la pluie et où l’eau était montée très rapidement jusqu’aux genoux. La sensation est la même dans cette ancienne colonie portugaise. Je ne vois plus où je mets les pieds. Nous finissons par arriver… puis nous reprenons le chemin en sens-inverse, trempés jusqu’à la moelle mais encore chauds de notre marche. Nous nous abritons devant le micro-supermarché du coin. Les habitants s’y sont donnés rendez-vous pour laisser passer la pluie. Les hommes que nous avions croisés qui partaient aux champs de bon matin, sont eux aussi à l’abri, attendant tranquillement que les trombes passent. Avec M. nous sommes frigorifiés. Je lui prête ma serviette et vais me changer dans l’arrière boutique. Je ne sais pas pourquoi ce jour là, je me suis dit qu’il serait utile de prendre des vêtements de rechange. Malheureusement j’ai oublié qu’il faisait frais dans les hauteurs du centre.

J’achète quelques bananes séchées pour nous faire patienter et espérer que la digestion nous réchauffe. La pluie finit par s’arrêter. Nous remontons frigorifiés sur la moto en direction du Jardin Botanique, quand nous croisons le guide qui s’occupe des visites: « j’ai fini pour aujourd’hui, il n’y a aucun touristes ». Nous bifurquons jusqu’à la Cascade de Sao Nicolau, avant de rejoindre Monte Café. C’est ici que se trouve la plus ancienne plantation de café de l’île. Il est en temps normal possible de visiter la plantation et le petit musée adjacent. Sauf qu’à un jour près, le gouvernement a annoncé la fermeture des principaux lieux touristiques. Nous ne le savions pas. La Casa Almada Negreiros, où nous devions prendre notre repas, est elle aussi close pour la journée. Nous profitons néanmoins d’une tasse de café bien chaude avant de repartir sur la capitale.

A l’aéroport de Sao-Tomé

M. me ramène à la TAP car c’est le jour où je dois acheter mon billet d’avion à 1400 €. De quoi rester des mois à Sao-Tomé… Je rentre dans l’agence et en ressort en pleurs 5 min après. Je n’ai pas envie de partir. Pourquoi le devrais-je ? Les jours se mélangent, les idées aussi. Je ne sais plus quoi faire. M. me rassure et me dit que je serais peut-être mieux auprès de ma famille. Il m’avouera plus tard qu’il aurait aimé que je reste. Je rentre à nouveau dans la boutique le cœur serré. La responsable m’annonce qu’elle n’a pas de billet pour moi. Le soulagement m’envahit. Et pourtant le lendemain, la consule décidera de m’amener à l’aéroport pour me faire monter dans ce foutu avion.

Je fais mes valises en quelques minutes, explique au français ce qui se passe. Je n’ai pas le temps de dire au-revoir aux enfants que j’ai croisé dans la maison, ni de remercier chaleureusement mon précieux guide. Je monte dans la voiture et arrive en très peu de temps à l’aéroport. En route la consule m’a trouvé un billet, il faut que je reparte sur la capitale. Son chauffeur m’embarque. Je paye et retourne à l’aéroport, complètement démunie par cette décision de dernière minute que je n’ai finalement pas prise. Tout s’enchaîne. Le français parle avec des clients. M. me fait la surprise de me rejoindre à l’aéroport, tandis que je suis entrain de batailler pour avoir un billet me ramenant du Portugal jusqu’ en France. Il ne peut contenir ses larmes… Le cœur fendu, c’est à moi de le rassurer cette fois. Et pourtant je suis déjà loin au cœur du néant. Je ne suis plus moi-même. Je viens de passer en mode automatique, celui que me permet de partir toute en légèreté, sans penser à quoi que ce soit et surtout pas à l’amertume qui va m’envahir ces prochains mois.

Des mois plus tard

Je suis en colère. La colère qui fait monter les larmes aux yeux. Pourquoi suis-je partie ? Pourquoi ai-je quitté ce petit paradis pour me réfugier dans le pays qui m’a vu naître, celui qui ne m’a jamais contrôlé aux frontières alors que j’avais de la fièvre, celui qui m’a pris pour une vache à lait et qui m’a fait angoisser pendant des mois et qui aujourd’hui joue encore avec mes nerfs ?

J’ai continué à parler portugais, tous les jours avec ce guide qui était venu me voir, pleurant de toutes ses larmes à l’aéroport. Tous les jours. Mon niveau augmentait. Tous les jours je me disais que je devrais aller tester mon portugais, là où tout avait commencé ou fini: à Sao-Tomé. Je crois que je n’ai jamais réussi à me pardonner. Me pardonner d’avoir quitté ce pays, d’avoir laissé la Consule m’embarquait dans sa voiture pour me faire monter dans l’avion, de ne pas avoir tapé du point sur la table pour dire que « non j’avais raison », que « non la COVID ne toucherait pas autant le continent africain ». Mais l’influence m’a transformé en mouton. ça fait des mois que ça tourne en boucle dans ma tête. Des mois à essayer de me donner raison, de me rassurer, de me dire que j’avais fait le bon choix alors que tout mon être me disait que non. Je me suis perdue dans le yoga, je n’arrivais plus à lire, encore moins à écrire. Seul le portugais me donnait encore cette joie de vivre, celle qui me permettait de rêver à un meilleur avenir.

Alors Sao-Tomé fut pour moi une petite île difficile, celle de la fièvre, de la maladie*, celle des choix à prendre dans une période indécise, celle de l’espoir aussi… celui d’y retourner à tout moment, à chaque annonce de reconfinement. Celui de la reconnexion totale avec des racines oubliées, ces plantes qui peuvent encore soigner. Ces rêves enfouis mais peu oubliés qui permettent de tenir sur un continent stressé par ses objectifs économiques. Je me prends encore parfois à rêver de ce petit paradis, où le mot d’ordre « leve, leve » (doucement, doucement) semble prendre tout son sens.


Un jour alors je reviendrais. Je prendrais quelques jours dans le sud pour décompresser, pour regarder les vagues et me laisser embuer l’esprit de douceurs fragiles. Je prendrais des litres d’eau et ma tente, pour aller arpenter le Pico le plus haut du pays et peut-être observer Principe, haut lieu de biosphère splendide qui me fait rêver. J’y verrais peut-être ces fameux pirates dans les eaux tumultueuses du Golfe de Guinée. Je me perdrais à nouveau dans les couleurs des marchés, goûterais enfin à ce gâteau à l’avocat, irait revoir Maria rencontré un soir dans la rue des joueurs d’échecs. J’irais donner un coup de main à ce français, qui a bien voulu m’héberger dans une période difficile. Je reverrais M. et me laisserais porter par ses idées, ses envies de faire connaître son pays, ce petit coin de paradis. Et enfin, je passerais faire un coucou à ceux qui sont venus me chercher à l’aéroport le 1er soir, alors que le climat mondial semblait hésitant.

* On ne saura jamais ce qu’était ce rhume intense et passager,
et je me serais assurée des semaines après mon retour de n’avoir contaminé personne.
Musique: Calema