Déroute ivoirienne

J’ai longtemps hésité à écrire cet article. Je n’aime pas faire des critiques.
Et j’ai un peu comme ce syndrome de l’imposteur de l’homme blanc…
Vous savez, l’histoire de la colonisation me rend coupable de donner mon avis sur un pays qui m’accueille aujourd’hui et que l’homme blanc a envahi il y a quelques années de ça.

J’ai la chance qu’en Côte d’Ivoire, le « blanc » soit bien vu et accueilli, que dans tout le pays, ces ivoiriens à qui je croise la route, semble avoir plus de respect pour l’homme blanc que pour leur propre confrère. Je me sens mise en permanence sur un piédestal. Non pas comme en Inde, où en tant que touriste, je n’étais que de l’argent sur pattes. Ici c’est une envie plus grande qui les habite, une jalousie déguisée peut-être ? Je ne pense pas.
L’homme blanc est pris comme un modèle. Un modèle de réussite… Aurions-nous à ce point imposé nos choix en tant que colons ? A chaque conversation, je me sens presque coupable de choses qui se sont passées il y a bien longtemps.

Il y a quelques jours, je suis entrée en pleurs dans un taxi. Les larmes ont coulées sans que je puisse les retenir, ni les arrêter. Je n’ai pas compris ce qui se passait. L’accumulation d’une fatigue récurrente qui ne semble jamais s’en aller. L’absence de force ou de mental pour continuer à négocier une course de quelques mètres. Alors j’ai laissé couler… j’ai donné raison à mon chauffeur de taxi et je me suis résignée à me faire arnaquer, non pas parce que je suis blanche, mais parce que l’argent est loi ici.

Moi qui me suis éloignée de la société de consommation pendant trois années, je me la suis retrouvée en pleine face à échelle décuplée. Obligée de zigzaguer entre les personnes se prenant en selfie dans les supermarchés, qui s’affichent fièrement sur leur mur Facebook, arborant leur nouvelle conquête (si elle est blanche, c’est encore plus la classe, voyons !) ou faisant semblant de conduire un bateau lors de sa seule sortie de la semaine. Dans quel but ? Se montrer, mettre en avant son nouveau statut social et surtout rendre les autres jaloux.

Car oui, ici la jalousie semble de mise. La jalousie constante, au coeur d’une même famille. Le chauffeur de taxi avec qui je discutais hier, me disait que son frère cherchait à le tuer, car il donnait uniquement de l’argent à sa propre mère. Moi qui croyait que les liens familiaux étaient les plus nobles, j’en suis restée estomaquée. Finalement c’est chacun sa merde.
J’essayais d’expliquer à mon chauffeur de la veille, que la France d’aujourd’hui ne s’était pas faite en un jour, que nous aussi nous avions eu un roi qui contrôlait tout (je n’ai même pas osé aborder l’histoire de notre président actuel). Le peuple français a fini par se soulever et ce roi a été décapité. « Si vous êtes aussi en colère contre le système, pourquoi ne bougez-vous pas ? ». Il m’a alors répondu que les africains étaient comme ça. Que si l’un avait à manger, il ne chercherait pas à aller plus loin, que ce soit en Côte d’Ivoire ou au Burkina Faso, d’où il est originaire. Il m’a dit que la « solidarité » ici était impossible, car tout le monde regardait chez le voisin et jalousait l’argent des uns et des autres. Je lui ai alors dit que l’argent ne se mangeait pas et que nous européens, nous rendions compte que l’argent était entrain d’avaler notre chère planète et que ce n’était peut-être pas la solution.

Je ne compte plus les fois où l’on m’a dit que « vous en France, quand vous ne travaillez pas vous avez de l’argent ». Je n’ai jamais réussi à leur expliquer que c’est notre système social qui nous le permettait et que c’était via la « solidarité » que ça pouvait marcher.
Mais non… la finalité était là: l’argent. Combien d’ivoiriens cherchent à prendre des raccourcis ? Que ce soit pour le travail ou d’autres domaines de la vie: les policiers qui vont t’arrêter au milieu de la nuit histoire de récolter quelques pièces, le permis de conduire que tu ne passes même pas mais que tu achètes, la femme qui va tromper son copain pour avoir plus de frics ou le cousin haut placé que tu vas quémander car tu auras trop la flemme de candidater. Certes le piston, ça se fait en France, la société de consommation aussi, l’affiche sur les réseaux sociaux et la jalousie… nous connaissons tout cela. Mais à ce point, je ne sais pas.

« Les prisonniers de la haine » de Venance Konan, auteur et journaliste ivoirien, vous en dira bien plus que moi. Il sera bien plus légitime pour donner son avis sur son propre pays. Qui suis-je moi, jeune blanche expat à médire les gens qui m’accueillent ?
Je ne les médie pourtant point, je cherche juste à les comprendre… et souvent ça me dépasse. Ici ce sera toujours la faute des autorités, la faute du voisin ou la faute du cousin un peu trop fortuné. Tout le monde remet son destin (ou presque) entre les mains de dieu. A quand une prise de responsabilité ? Mon chauffeur burkinabé m’a même dit « peut-être que les blancs auraient du rester… regarde en Afrique du Sud, ce pays rayonne ».  Il rayonne peut-être et surement pour lui par sa « richesse » mais point par le conflit interne qui sépare deux couleurs.

Alors oui, j’adore la Côte d’Ivoire, ses couleurs et ses sourires. J’admire les initiatives de certaines start-ups, la prise de conscience de certaines femmes, la façon dont les africains se lancent dans différents business sans se soucier de la peur de l’échec. Il y a plein de choses culturelles positives dans ce pays et je crois que depuis 5 mois, je suis juste frustrée de ne pas pouvoir leur montrer tout ça. Fatiguée de ne point pouvoir leur ouvrir les yeux, sur la beauté de leurs paysages, leur patchwork ethnique intéressant, la richesse de cette diversité qui existe encore aujourd’hui au coeur même d’un seul pays. Lasse de toujours tout devoir négocier, demander, imposer pour que ça puisse avancer, que ce soit au niveau professionnel ou personnel.

Alors parfois je fais comme eux, je ferme la porte de mon taxi, je regarde par la fenêtre d’un air lointain, je survole d’un regard les déchets, respire à plein poumon la pollution des voitures que l’Europe ne veut plus… j’abdique et me dis que demain ça ira mieux.

Un week-end à Grand-Lahou

Avant de partir en Côte d’Ivoire, je m’étais empressée de contacter quelques couchsurfers pour avoir leurs ressentis sur le pays. J’avais cette envie de m’y projetter le plus rapidement possible, car mon contrat de travail devait commencer 1 mois après mon premier entretien. Un local m’a gentiment répondu et me proposait, quelques mois plus tard, un week-end à quelques heures d’Abidjan, à Grand-Lahou.

Organisation

Ce qu’il y a de bien avec couchsurfing, c’est que tu rencontres des personnes souvent sur la même longueur d’onde que toi. Le partage est à l’ordre du jour et tout s’organise assez facilement. Mon compagnon de voyage avait déjà sa voiture, mais j’ai vu quelques auto-stoppeurs locaux sur la Côtière, la route reliant Abidjan à San-Pedro. Cette dernière est en réhabilitation, mais la partie allant de Abidjan à Grand Lahou reste accessible à une voiture basique, hors 4×4.
Partis pour 3 jours, nous avions besoin de quoi subvenir à nos besoins culinaires (eau, couscours, légumes à faire cuire au feu, crème soja et quelques bananes) et d’une tente à poser sur le sable chaud.

Départ pour Grand-Lahou

Nous voici partis à Grand-Lahou. La route en Côte d’Ivoire n’est jamais monotone. Même si les paysages se ressemblent, les couleurs des pagnes dénotent avec le sol jongé de trous. Les discussions s’enchainent et je m’étonne encore d’avoir des conversations aussi ouvertes avec des personnes que je viens à peine de rencontrer. Nous parlons de cette difficulté à se poser, après avoir vécu tous ces voyages qui nous ont vu grandir.

Les plantations environnantes nous accompagnent sur ces 3h de route et on finit doucement par arriver à Grand-Lahou (la nouvelle). En effet, il faut savoir que ce qu’on appelle Lahou Plage aujourd’hui est en fait Grand-Lahou l’original. Aux rives de la lagune Tagba, Grand-Lahou, cette cité si prospère dans un passé colonial, construite sur une étroite bande de sable à l’embouchure du fleuve Bandama, se fait engloutir petit à petit par l’océan. Il en reste encore quelques traces, mais pour combien de temps ? Le Grand-Lahou actuel, où Nicolas notre guide, nous a donné rendez-vous ce matin à l’embarcadère, est une ville nouvelle.

Ce dernier nous fait traverser en pirogue pour que l’on puisse s’installer sur le banc de sable séparant la lagune de l’océan. Il n’y a pas d’ombres à 12h… mais les abris utilisés par les pêcheurs feront l’affaire. Après avoir installé la tente, l’après-midi se résume à la détente, agrémentée de baignades au coeur des vagues ou dans l’eau calme (au choix).

Le soir, Nicolas vient nous récupérer en pirogue pour nous amener à l’ancien village de ce qu’on appelle la « cité aux trois eaux », Lahou-Plage, mon ami voulant faire des photos de nuit. Je n’y verrais pas grand chose, hormis la voie lactée d’un blanc intense. L’électricité se fait rare ici, il vaut mieux aller y faire un tour en journée. Un bon poisson braisé au maquis (restaurant), sans le koutoukou (parait-il excellent) du coin et nous rentrons sur notre île déserte, les pêcheurs ayant quitté le coin au coucher du soleil.

Parc National d’Azagny

Le lendemain, je profite d’un réveil matinal pour aller au Parc National d’Azagny, laissant mon compagnon de route faire la grasse-mât. Il avait contacté l’OIPR (gestionnaire des parcs ivoiriens), quelques jours avant, pour que l’on puisse bénéficier d’un guide.
Deux choix sont possibles:
– Profiter d’une balade fluviale sur la lagune, avec un aperçu du canal d’Azagny et d’une micro-randonnée menant à un observatoire au coeur du parc
– Faire une randonnée de 15 kms au coeur du Parc (qui ne part pas de Grand-Lahou mais plus au nord)
J’ai opté pour la première option et ai rejoint 2 autres groupes de visiteurs. Il faut bien négocier avec le/la guide (ranger du parc) au niveau des tarifs qui semblent varier en fonction des personnes (et du don de négociation). Il faut prendre en compte le prix d’accès au parc (moins cher pour les locaux, 5000 FCFA pour moi), le service de la guide (compter 5000 FCFA) ainsi que les frais d’essence pour l’embarcation.

La balade sur un chemin bien dégagé nous a mené au mirador, offrant une vue sur la savane environnante. J’avais eu l’opportunité de visiter le Parc National de Taï avant ce week-end, j’ai donc été déçue par la visite. En effet, la marche dure une trentaine de minute (dans un groupe avec enfants), la guide nous explique quelques plantes et arbres au passage, mais rien à voir avec le circuit ethnobotanique que j’ai pu vivre à Taï. On va dire que je suis partie biaisée par ma précèdente expérience dans un parc ivoirien, mais ce dernier a l’avantage d’être proche d’Abidjan. La vue du mirador vaut cependant le détour.

Autres alternatives

Après notre aventure, à la découverte du Parc et de l’histoire du Canal d’Azagny (creusé à la main, il aurait servi à quelques trafics), nous avons fait une halte à Cap-Lahou, où bungalows et restauration sont proposés entre lagune et mer. Nous avons profité d’un brunch copieux, avant que je ne rejoigne mon acolyte pour une autre après-midi lecture/yoga/détente, suivi d’un dîner au feu de camp sous les étoiles brillantes.

Le lendemain, c’était déjà l’heure de partir de ce petit paradis pour « week-end entre potes et rendez-vous romantique ». Si vous vous y prenez à l’avance, il est d’ailleurs possible de réserver, pas très loin de toutes ces opportunités,  une ile toute entière pour un maximum de 10 personnes, Les Robinsons de Lahou. Oui, vous avez bien lu! Je ne l’ai personnellement pas testé.

De notre côté, nous avons fait une halte à l’hôtel Le Ravin, qui se trouve dans un lieu splendide  à la sortie de la nouvelle ville. La directrice, une française-américaine, ivoirienne de coeur depuis de nombreuses années, est adorable. Nous profitons d’un repas du midi avec vue sur les collines, avant de finalement rentrer sur Abidjan.

Je n’aurais pas vu de lamentin au coeur de la lagune (plus de chance en saison humide), ni Ponso, le dernier survivant de l’île aux Chimpanzés (triste histoire)… mais j’aurais eu 3 jours de déconnexion totale, en compagnie des pêcheurs, entre Océan Atlantique et lagune Tagba.

Plus d’infos: N’hésitez pas à contacter Nicolas: +225 03 39 61 90

Lettre à ma zone de confort

A toi…

… que j’ai souvent dénigrée. Maintes fois rejetée. Et parfois même manipulée.
Je n’acceptais pas le fait que tu n’aies pas toujours des envies sociables,
Je n’acceptais pas le fait que tu aies besoin d’espace pour être stable.

On m’a toujours dit que c’était bien de sortir de sa zone de confort.
On m’a toujours collé cette étiquette de timide, tu sais, à l’école.
Être exubérante, extravertie, bavarde n’était clairement pas mon fort.
Je n’aimais pas me mettre en avant et on m’a fait croire que c’était mal à l’école,
qu’il valait mieux apprendre à se montrer aux yeux du monde, et que j’avais tort.

Alors, quelques années après,
je suis partie me nourrir de la zone de confort des autres.
Wwoofing, couchsurfing, hitchhiking, j’ai conjugué tous ces mots qui finissaient en ing.
J’ai surfé sur des canapés par toujours propres, j’ai appris à suivre mes intuitions,
mais pas à écouter cette petite voix qui me disait de ralentir et avait raison.

J’ai commencé à courir après le temps,
J’ai commencé à avoir besoin des autres tout le temps.
Je me suis retrouvée destabilisée, sans le moindre contrôle de mes émotions.
Ma zone de confort a été dévisagée, déshabillée,
parce que je n’avais pas appris à l’écouter à tort ou à raison.

Maintenant… je comprends mieux ton intérêt,
je comprends mieux ton besoin de souffler,
ton besoin de te ressourcer, de respirer, de te pauser,
et je te demande pardon.

Un bout de Côte d’Ivoire

Je me suis encore réveillée au son de la pluie.

Dimanche. La plage du Grand-Bassam ne sera pas pour aujourd’hui. Quelle idée d’être arrivée en pleine saison des pluies. L’humidité ambiante qui m’a fait nettoyer deux fois mon sac qui sentait le roquefort et les moustiques voraces quand s’en vient la fin de la journée, n’auront pas su affecter mon moral. Je crois que l’arrivée dans ce nouveau pays m’apprend à nouveau à relativiser sur les choses qui auraient su m’énerver en France.