Updated on novembre 17, 2023
Refuge d’Art, une œuvre de 150km autour de Digne-les-Bains
Vers la fin de mon GR10, Mathieu me contacte pour me proposer de me joindre à lui, à la découverte du Refuge d’Art. Il me parle d’un trek de 10 jours au départ de Digne-les-Bains au cœur des Alpes de Haute Provence. Il a besoin d’une figurante pour prendre quelques photos. Comment refuser une randonnée dans un département que je connais finalement si peu, au delà des Gorges du Verdon et de la belle Sisteron ?
Je prépare mon sac le plus léger possible. J’ai délaissé ma tente pour un séjour tout confort, emportant duvet, changes et mes trois couches habituelles pour une randonnée. J’ai caché quelques graines dans mon sac, au cas où le guide aurait oublié quelques détails. Je rejoins Digne-les-Bains en train au départ de Toulouse, où je passe la nuit.
Refuge d’Art, de Digne-les-Bains à Thoard
Après un court transfert matinal en taxi jusqu’au petit village de Courbons, c’est à travers un paysage méditerranéen que nous montons, pour rejoindre la forêt domaniale du Bès. Je suis en compagnie de Mathieu, Luc, notre guide et Eric présent pour la journée. Nous cheminons tous les quatre sur un chemin parsemé de pierres, prenant le pouls de notre petite équipe du jour. Le paysage s’offre dru et les montagnes dessinent de leurs courbes un aperçu de ces prochaines étapes. C’est à 1386 mètres d’altitude, à Martignon que nous prenons une pause déjeuner en compagnie des chevaux. De là, le chemin file droit. De la Comberge à La Bigue, les vues offrent leurs premières couleurs automnales, avant que nous ne plongions au cœur d’une forêt de hêtre aux feuilles duveteuses.



La traversée sous les arbres, parés de jaune, est courte. Le bois de Sivon laisse alors place à quelques parcelles de lavande coupée après le col de la Croix. Ça y est, nous sommes prêts à découvrir la première empreinte d’Andy Goldsworthy au sein de la chapelle Sainte-Madeleine. L’art s’offre nu au pas de la porte. Je me rapproche doucement effleurant de mes yeux ces pierres savamment taillées pour former une enclume ou un œuf dans lequel se lover. On se sent bien au cœur même de l’œuvre, tel un fœtus recroquevillé sur la pierre tendre. C’est peut-être la première fois que je peux jouer avec la création d’un artiste. L’observer, la toucher et prendre place. Je suis très enthousiaste pour la suite… D’autres ont laissé leur empreinte dans cette chapelle bercée entre deux montagnes.



Il est temps de rejoindre Bernard et Marie, gérants de La Bannette qui nous accueillent comme de vieux amis avec un jus de poire à tomber par terre. La soirée est teintée de voyage et mes yeux ne peuvent s’empêcher de fureter chaque recoin de la maison. Je pourrais rester ici des semaines tant mon imagination déborde malgré une journée de marche. Le feu de cheminée dansant finit par stopper mon vagabondage pour me concentrer sur le diner concoctés par nos hôtes de caractère. Au cœur de Thoard, nous voyageons en Suisse, puis de l’Inde à Israël.
De Thoard au refuge d’art La Forest
Je suis prête à l’heure et après un petit-déjeuner digne des plus grandes tablées, j’attends patiemment mes compagnons de route, Luc et Mathieu. Mes yeux dérivent sur chaque détail de la maison d’hôte, sur les objets posées ça et là, qui ont l’air chacun de raconter une histoire. Je suis sûre que de grands romans pourraient naître ici, à l’image de ces hôtes qui offrent à leurs invités une introduction à la vie d’Alexandra David-Neil, avec quelques livres sur les étagères de la chambre d’hôte bleu ou miel.



Il est l’heure de sortir de cette parenthèse pour longer la route en voiture jusqu’à la lisière de la forêt domaniale des Duyes. S’offre à nous le champ du Bois pour une marche au cœur d’un sol forestier jonché de champignons de toute sorte, où chacun semble retrouver son âme d’enfant. Puis on rejoint les crêtes sur la colline de St Joseph, dégageant la vue sur les synclinaux perchés. Les Alpes de Haute Provence sont splendides et inspirent à prévoir de futures randonnées. En ce mois d’octobre, nous ne croisons personne. Un délice pour ceux et celles qui chercheraient un moment de quiétude ou un retour à soi.



Les pauses photos sont nombreuses jusqu’au sommet du corbeau. Nous pique-niquons un peu plus loin avec la montagne de Melan en toile de fond. Du col de Mounis, le sentier serpente jusqu’au ravin de la Marine, abimé par les eaux aujourd’hui absentes. Les pins noirs d’Autriche nous accompagnent sur les derniers kilomètres menant au refuge d’Art La Forest, où Andy Goldsworthy a laissé une nouvelle trace, lumineuse cette fois.
Du refuge d’art La Forest à St-Geniez
On profite de la matinée pour jeter un coup d’œil aux ruines de La Forest avant de traverser le cours d’eau du Vançon via un petit pont suspendu. L’Ubac en arrière plan, c’est sur un chemin rocailleux que nous montons doucement jusqu’à la chapelle de Dromont, qui nous accueille pour la visite. Datant du 17ème siècle, elle est classée monument historique et recèlent quelques secrets à découvrir sur place, à l’image de sa crypte éponyme.



De la chapelle, nous prenons la route de St-Geniez pour un crochet jusqu’au village, adossé au pied du versant sud des massifs du Gouras et du Trainon. Dès le moyen-âge, le village est associé à Genies, l’un des plus anciens saints de Provence. On y rejoint le gîte d’Olivier, fervent cavalier pour profiter d’une fin d’après-midi posée.
De St-Geniez à Verdache
De St-Geniez, un taxi nous récupère pour éviter le bitume qui mène jusqu’à Feissal. Les couleurs automnales sont spectaculaires, mais je ne les vois qu’à demi-teinte à travers les vitres de l’ambulance. Heureusement ma frustration sera de courte durée avec notre arrêt à la sentinelle de la vallée du Vançon. Le soleil sort timidement de derrière la montagne nous offrant un spectacle dorée. La sentinelle, œuvre d’Andy Goldsworthy, se voit parée d’une auréole de brume un court instant. Le temps de capter la beauté de l’art corrélée à son environnement, nous reprenons notre sac à Feissal pour se laisser envoûter par les crêtes de Chine.



Le paysage se dénude offrant en toute simplicité les sommets captivants, à l’image des Monges. Au col de Clapouse, on profite d’une pause pour observer les aigles royaux, tandis que Les Écrins sortent à l’horizon. Nous laissons la « vieille bergerie de Chine » en contre-bas pour pique-niquer au refuge de Seignas. Le cadre est grandiose avec le sommet de l’Estrop en ligne de mire.
Nous redescendons doucement jusqu’au village de Barles, profitant des œuvres ça et là de Herman de Vries, nous rappelant d’observer l’environnement qui les entourent, telles des fenêtres sur un autre temps. De Barles, transfert à Verdaches chez Patrick et Alix au cœur du gîte de Flagustelle, où nous passons la soirée en bonne compagnie.
De Verdaches au refuge d’art du Vieil Esclangon
Nous partons vers 10h à vélo cette fois pour effleurer la vallée du Vançon de l’intérieur. Les arbres vert jaune orangé nous obligent à faire nos 15 kilomètres en 3h. Arrêt sur arrêt, nous pédalons des clues de Verdaches à celles de Barles et Péouré. Au bord de la route, nous découvrons le concept de l’artiste Paul Armand Gette et ses 0M. Un peu plus loin, c’est une sentinelle d’Andy Goldsworthy que nous étudions, lovée au cœur d’un bout de nature. Encore quelques coups de pédale et c’est au parking du Vélodrome que Patrick nous rend nos sacs en échange des vélos.



De là, il nous reste trois quart d’heure de marche pour rejoindre le refuge d’art qui nous accueille ce soir, celui du Vieil Esclangon. Nous déposons nos affaires au refuge pour monter au point de vue atteignable en 10 min, avant le coucher du soleil. Les lumières ont tamisé les lieux et nous admirons le vélodrome naturel devant nos yeux. L’endroit est à couper le souffle. Luc nous raconte qu’il y a plus de 20 millions d’années, la mer recouvrait la région et que le mouvement des plaques tectoniques avait dessiné les plissures que nous pouvons observer aujourd’hui.



Nous avons du mal à quitter ce promontoire nous offrant le plus beaux des paysages. Nous rallions notre refuge du soir pour admirer le serpent d’Andy Goldsworthy danser avec les flammes.
Du refuge d’art du Viel Esclangon à la ferme Bellon
Nous quittons le refuge d’art du Viel Esclangon pour découvrir les lignes naturelles qu’Andy Goldworthy a mis en valeur au coeur du refuge d’art du col de l’Escuichière. Nous gagnons ensuite le village Le Mousteiret pour le déjeuner, au cœur de la vallée de la Bléone. Après une belle pause, il est temps de gravir la crête de la Blache. Je prends les devants pour une petite montée à mon rythme et je profite du paysage en attendant mes deux compagnons de route. Les lumières du soir capturent de leurs douces lumières les sommets environnants. Mes yeux se posent enfin sur le toit de la ferme Bellon.



Nous entrons sans trop savoir à quoi nous attendre. Notre guide laisse notre imagination vagabonder au sous-sol, déambulant entre les pierres savamment posées pour former des ponts. Un jeu d’ombres se crée et les chauves-souris ont depuis longtemps pris possession des lieux. La ferme Bellon accueillait en 1944 les Mouvements Unis de Résistance. Mais suite à une dénonciation, les treize maquisards présents furent capturés par les allemands, qui mirent le feu en représailles. La ferme ne sera restaurée qu’en 2003 dans le cadre du projet Refuge d’Art.
De la ferme Bellon à Tartonne
Au petit matin, nous prenons le temps de faire quelques photos avec les chauves-souris et les lumières matinales. Puis le paysage s’ouvre sur ce qui semble être des carrières naturelles. Le gris contraste avec le vert des arbres et le chemin finit par se faufiler à travers la forêt. Nous continuons vers le Pas de l’Escayon puis le col de la Cine, qui offre des vues sur l’imposante montagne du Cheval Blanc.



Du col, on pourrait s’aventurer jusqu’au pic de Couard ou jusqu’au sommet de Cucuyon, mais nous préférons poursuivre vers la clue de la Peine, où un tunnel fut taillé au pic et à la mine, marquant un point de passage historique entre deux vallées. Le lieux est impressionnant ! La clue, creusée par le torrent des Gypsières, nous dévoile ses stries naturelles. Les roches tendres ont cédé à la force de l’eau mais le calcaire datant de la formation des Alpes, a résisté à l’érosion et au temps, nous laissant devant un spectacle naturel étonnant.
De Tartonne aux Dourbes
Après avoir passé la nuit au gîte des Robines, au cœur des montagnes de Tartonne, nous empruntons les petites routes goudronnées, pour rejoindre la sentinelle d’Andy Goldsworthy, en vallée de l’Asse. Cette œuvre indique la position de la faille du Défens, née il y a près de 200 millions d’années et aujourd’hui invisible.



Nous repartons vers Tartonne pour emprunter la route domaniale du Corton et entreprendre l’ascension de la barre des Dourbes, jusqu’au pas de Tartonne. Lorsque nous sortons la tête des arbres et prenons un peu de hauteur, les Alpes de Haute-Provence nous apparaissent dans toute leur splendeur. Le soleil couchant illumine la vallée. Nous devons nous dépêcher afin de rejoindre Les Dourbes avant la tombée de la nuit.
Des Dourbes à Digne-les-Bains
Des Dourbes, nous marchons sur le sol grisâtre des marnes noires vers notre dernier refuge d’art. A nos pieds se trouve un mélange d’argile et de calcaire qui daterait de 185 à 170 millions d’années. L’accumulation de sédiments dans un environnement pauvre en oxygène serait à l’origine de cette couleur noire. Il est difficile d’imaginer que la mer alpine y avait sa place, tandis que nous avançons sur ce plancher, presque lunaire.



Nous découvrons l’une des dernières œuvres d’Andy Goldsworthy au refuge d’art des Bains Thermaux, avant de rejoindre Digne-les-Bains en bord de route. Notre après-midi sera consacrée à la visite du musée Gassendi et notre aventure se clôturera au cœur de la magnifique Villa Gaïa.
J’étais partie sans attente, sans idée de ce que j’allais trouver lors de cette itinérance. J’y ai rencontré de sacrés personnages. J’y ai dévoré des paysages préalpins aux douces cambrures, accompagnés par le feu des couleurs automnales. Marcher. En apprendre plus sur le land art et la façon dont Andy Wordsworthy conjugue ses œuvres à leurs environnement. J’ai aimé arpenté les Alpes de Haute-Provence en belle compagnie et je sais qu’elles ont pris place sur ma liste pour de futures randonnées.
Un grand merci à Mathieu pour l’invitation ainsi qu’à l’Agence de Développement des Alpes de Haute Provence. Un petit clin d’œil à Luc, notre guide de caractère. Et pour suivre nos pas : organisez votre aventure sur le Refuge d’Art.
Updated on décembre 29, 2024
De Tuquerouye au Mont-Perdu : deux jours de randonnée intensive entre France et Espagne
J’ai une liste à rallonge de randonnées que je souhaite faire. Le Mont Perdu, que je n’avais pas pu atteindre la première fois. La brèche de Tuquerouye, dont on m’avait dit que je ne serais jamais capable de chevaucher. Puis ce parcours entre le Mont Perdu et la brèche de Roland, tenté il y a quelques années en arrière. Alors parfois, on fait un mix de tous ces rêves qui trainent et on en fait un parcours de 4 jours. Ils se sont finalement transformés en une aventure de deux jours entre France et Espagne, de Tuquerouye au Mont Perdu.
De Gavarnie à Tuquerouye
Nous partons de Gavarnie après avoir laissé la voiture au parking derrière le Spar. Nous empruntons le chemin qui mène jusqu’au cirque que nous ne rejoignons pas. Bifurquant sur la gauche, au niveau du ruisseau d’Alans, nous suivons les lacets qui annoncent une grimpette prononcée. Puis la vue s’ouvre sur les pâturages, laissant apparaître au loin le refuge des espuguettes. Nous croisons quelques familles qui redescendent de bon matin vers le village de Gavarnie. De notre côté, l’ascension n’est pas finie.
Du refuge, nous apercevons le petit Pimené qui me fait de l’œil. Pourtant au niveau du plateau des Cardous c’est à droite que nous allons et non à gauche. A la Hourquette d’Alans, nous soufflons un peu après une ascension rapide, admirant la vue sur le cirque d’Estaubé. Nous essayons de deviner le lieu où se trouve la brèche de Tuquerouye, sans y parvenir. Alors nous reprenons notre marche en suivant les kairns qui nous font couper au pied du Pic Rouge de Pailla et nous permettent de rejoindre le sentier venu tout droit du lac des gloriettes un court instant.



De là nous remontons vers l’Espagne, à travers les rochers qui se font plus présents. De kairns en kairns, je finis par apercevoir le fameux chemin menant au refuge de Tuquerouye. Le terrain monte doucement puis s’accentue à mesure que le sol glisse sous nos pieds. J’avance un pas après l’autre sans jamais me retourner. Mon compagnon de route est devant. Vers la fin, il faut que je m’accroche pour avancer. C’est que les récents orages et les pas de ce lieu fréquenté ont eu raison du sol. Je suis heureuse de ne pas avoir à descendre par là. Le refuge est proche. Je compte mes pas pour avancer mentalement et les effluves de pisse finissent par m’accueillir.
De Tuquerouye aux Astazous
Le refuge étant perché entre deux pays, il est difficile de trouver un recoin pour faire ses besoins. Je pose mon sac espérant que l’odeur ne l’imprègne pas, pour aller contempler la vue sur le lac de Pineta. La vue est splendide ! Les photos ne mentaient pas. Pourtant le refuge ne me tente guère pour une nuit. On est loin du luxe d’un refuge de Packe en plein hiver. Les lits sont pour la plupart occupés. De toute façon nous avions prévu de continuer…



Nous descendons vers le lac, avant de bifurquer sur la droite pour rejoindre le Grand Astazou. Nous laissons nos gros sacs derrière des rochers et je propose à mon co-équipier de manger à 3000 m d’altitude. Il ne nous reste que 200 m de dénivelé pour arriver au sommet. Pourtant à travers les gros rochers, notre avancée n’est pas rapide et le ventre commence à tirailler. Arrivés au col swan, nous suivons les kairns qui zigzaguent parmi la barre rocheuse. Il faut s’aider des mains et nous finissons par rejoindre le Grand Astazou pour grignoter.



La pluie s’en mêle et du haut des 3071 du sommet, nous regardons les nuages d’un gris profond, virevolter au dessus du Mont Perdu, jouant avec la frontière. Nous redescendons vers le col swan afin de rejoindre le Petit Astazou, mais la météo nous fait douter. Rien n’était annoncé dans la matinée mais nous savons que le temps peut vite changer.
En face de nous, deux français galèrent à trouver le chemin. A la vue de l’escalade, nous avons la flemme. Nous préférons faire demi-tour, nous disant qu’il aurait été peut-être plus simple de commencer par le petit Astazou, dont le chemin depuis le col au même nom semblait bien moins éprouvant. Nous rebroussons donc chemin pour retrouver nos sacs et installer notre bivouac du soir.
De Tuquerouye au Mont Perdu
Du lac glacé au glacier du Mont Perdu
Après la montée à Tuquerouye dont l’appréhension m’avait fait plus stresser que le chemin lui-même, je savais que le plus dur restait à venir. De l’ascension du grand Astazou au Mont Perdu, il fallait franchir une barrière rocheuse qualifié de III+. Pour ma part, je n’y connais pas grand chose… J’avais donc comparé celle nécessaire à l’ascension du Balaïtous (de III) pour me rassurer.



De Tuquerouye, nous avions repéré le chemin la veille grâce à deux randonneurs déjeunant au refuge. Le sentier visible, grimpe en épingle sur un sol sablonneux. Nous ne sommes pas les seuls et suivons un groupe de français de près. Arrivés en bas de la barre rocheuse, nous laissons filer un papa, parti poser sa corde pour assurer ses deux enfants. Mon compagnon de grimpe le suit et je me dépêche à l’arrière. Sauf que mon gros sac me fait douter sur un passage. Les français à l’arrière m’encouragent. Rien ne presse. Finalement le gars m’envoie sa corde avec son hameçon pour que j’y accroche le sac. Délestée, la confiance revient et je grimpe sans sourciller. Pour une fois, je ne m’auto-flagelle pas de désillusion. Il faut savoir reconnaître ses limites en montagne et depuis la veille, je les pousse un peu à bout gentiment.
Du glacier du Mont Perdu au col du cylindre
La barre rocheuse passée, nous rencontrons le glacier du Mont Perdu, réduit à peau de chagrin. Nous le contournons légèrement par la droite. Le paysage m’arrête : on se croirait en Islande. Les contrastes sont saisissants entre le bleu lointain du lac, la pierre orange, puis grise puis blanche. C. est parti bien devant. Je le suis de loin tout en m’offrant des pauses photos. Puis la montée vers le col du cylindre demande toute mon attention. Un pied devant l’autre, j’avance dans ce sol glissant. Un, deux, trois, quatre. Je me remets à compter. Cela me permet de contrôler mon mental et de m’encourager. « Un pied après l’autre vient compléter la chanson » que je fredonne. Mon esprit s’échappe un instant en Nouvelle-Zélande, lorsque je montais le Mont Ngauruhoe. J’en avais avalé des kilomètres depuis, accumulé de l’expérience et pourtant les terrains glissaient n’étaient toujours pas ma tasse de thé.



La tête de retour en Espagne, j’avance bien motivée et concentrée. Je fais un pas qui descend, puis un autre. C’est comme marcher sur la Dune du Pilat, sans le sable. Je finis par arriver au col d’où on aperçoit le l’étang glacé.
Du col du cylindre à l’étang glacé
C. m’attendait, cheveux au vent. Il descend bien motivé à faire quelques 3000 aujourd’hui. Dans ma tête le plus dur est passé. Je le suis doucement, descendant à pas feutré puis bifurquant sur la vire qui part à droite. Une petite barrière rocheuse se présente ensuite à moi et j’ai la sensation de mettre 10h à la descendre. Je crois que j’ai besoin d’une pause. Pourtant je continue jusqu’à l’étang glacé, où quelques années auparavant j’avais dû abandonner l’ascension du Mont Perdu. Il avait neigé la veille et aucun des grimpeurs du jour n’avait prévu les crampons.
C. est pressé. J’avale à la rache quelques graines et pose mon sac. Le Mont Perdu est dans le brouillard, pourtant nous n’attendrons pas l’éclaircie. Je laisse mon compagnon de route prendre de l’avance. Je suis déjà contente du chemin parcouru. Moi qui avait peur de devoir faire demi-tour et redescendre par la brèche de Tuquerouye, je sais maintenant que j’irai jusqu’au bout.
De l’étang glacé au Mont Perdu
J’entame la montée du Mont Perdu. Le terrain dérape sous mes pieds. Ici le sentier est plus usé qu’au col du cylindre, mais je coupe le mental pour avancer. C’était sans compter sur ces randonneurs espagnols, qui continuant leur descente, déboulent droit devant moi comme des isards aguerris. Je n’aime pas le bruit des pierres qui roulent. Avec le peu de visibilité, on a l’impression qu’une peut nous atteindre à tout moment.
Je monte. Je croise un gamin qui pleure à la descente, des filles qui hésitent et d’autres qui dérapent carrément, se retrouvant les quatre fers en l’air. J’hésite. A quoi ça sert de monter un 3000 dans le brouillard, si c’est pour ne pas avoir la vue à l’arrivée ? Je pourrais m’épargner les jambes flageolantes et la peur de la descente. Je sors mon téléphone pour me repérer sur la trace gpx… je ne suis plus très loin.



Quelques mètres plus tard, après avoir affronté un vent violant et une visibilité faible, je finis par retrouver C. qui m’attend dans le froid pour les derniers mètres. ça y est ! Nous sommes enfin en haut du Mont Perdu, un peu dépités par le brouillard. On va dire que je m’y suis habituée. Nous espérons l’éclaircie, mais j’ai peu d’espoir avec mon compagnon pressé. Il n’est même pas 12h ! Nous attendons un peu. Quelques nuages s’écartent pour nous laisser admirer… la mer de nuage ! Puis nous redescendons à l’étang glacé.
Du Mont Perdu à la Brèche de Roland
Du Mont Perdu à l’étang glacé
Finalement la descente n’était pas si pire. Les cailloux dégringolent sous mes pieds et je vois les gens monter me regarder bizarrement. Finalement le bruit ne se contrôle pas, mais il y a au fond peu de danger à voir un caillou atteindre ceux qui montent. Je fais tout de même attention, suivant de près une espagnole aussi tranquille que moi.
Nous rechargeons nos gourdes à l’étang glacé, où le brouillard fait doucement place au soleil. Je viens de croiser un guide de montagne avec qui je fais du co-working. J’imagine que lui et sa compagne auront plus de chance quant à la vue. J’ai envie de faire une pause, de m’octroyer un brin de vitamine D les pieds dans l’eau mais je sens C. impatient.
De l’étang glacé au col de la cascade
Nous empruntons donc le chemin qui grimpe vers la droite, bien dessiné mais qui n’apparaît pas sur la carte. Nous avions essayé de le prendre quelques années plus tôt avec A. A l’époque, le coin était beaucoup moins fréquenté. Du moins, au mois d’octobre ce n’était plus l’autoroute sur le Mont Perdu et j’avais apprécié le calme des montagnes. Nous n’avions jamais pu trouver le chemin qui permettait de rejoindre la brèche de Roland et pourtant ce jour-là, il était aussi clair qu’une roche dans un lac de montagne.



Nous suivons les autres randonneurs qui se sont engagés sur le sentier, à niveau. Qu’est-ce que ça fait du bien d’avancer à plat ! C’est reposant. C. se dirige vers les pics de la cascade, mais il est bien loin devant pour lui indiquer qu’un chemin plus simple se trouve en contre-bas. Je l’emprunterais bien, mais je n’ai pas le choix, ne voulant pas le perdre sur l’itinéraire. Je suis fatiguée. J’ai faim. Je râle.
Lorsque je rejoins C. il veut essayer d’aller plus haut, escalader deux trois pics. Je le laisse à ses occupations m’asseyant un brin H.S pour grignoter. Depuis le GR10 mon corps réclame beaucoup plus d’énergie… et je dois absolument l’écouter pour continuer à avancer. C. me rejoint finalement rapidement et nous descendons pour récupérer le col de la cascade.
Du col de la cascade à la Tour du Marboré
Depuis le lac glacé, j’ai 4 kg de plus sur le dos : 3L d’eau dans ma poche à eau et 1L de plus dans ma gourde filtrante. ça fait beaucoup ! Surtout lorsque je m’aperçois qu’il y a de l’eau à profusion sur le chemin qui nous mène au col de la cascade.



Depuis ce matin, j’ai l’impression de courir après C. L’objectif était de faire pas mal de 3000 entre le Mont Perdu et la brèche et pourtant, le chemin de l’Epaule partait sur la droite. Arrivés au col de la cascade, je sens l’exaspération et la déception de mon compagnon de chemin. Pour une fois dans ma vie, je ne me remets pas en question et je ne le prends pas personnellement. Je sais qu’en solitaire, il aurait peut-être fait plus, tenté plus de choses. Je suis au maximum de ma capacité phyisque et pour ma part, je trouve qu’on a déjà fait un bon morceaux.



Du col de la cascade, il nous en faut peu pour rejoindre la Tour du Marboré : notre troisième 3000. Pour moi, ce n’est pas une course ou un tableau de chasse. Je profite comme je peux du paysage, tandis que nous échangeons sur nos possibilités. Il est presque 15h et nous sommes à quelques kilomètres de la brèche. Nous, qui avions prévu de bivouaquer sur l’un des sommets, on se retrouve en avance sur notre planning. Je suis un brin frustrée… j’aurais aimé prendre mon temps, admirer la vue ensoleillée du Mont Perdu et profité d’une autre nuit en bivouac. C. l’est aussi pour d’autres raisons.
Par le pas des isards : de la Tour du Marboré à la brèche de Roland
De la Tour du Marboré, nous suivons la file de randonneurs qui se dirigent lentement vers le pas de isards. Nous passons sous le Casque du Marboré, que je ne grimperais pas cette fois. Le brouillard a été remplacé par le soleil et les pierres blanches font office de réverbération.
Le Pas des Isards se rapproche. Un pied après l’autre en file indienne, c’est la partie la moins difficile de mon périple. Les chaussures s’accrochent au sol qui ne glissent pas pour une fois sous mes pieds, et la grosse chaîne permet de s’assurer un minimum. Le passage est court et nous rejoignons la brèche, heureux de retrouver un brin d’ombre.



Cela fait 3 fois que je la descends. La première fois lorsque j’étais venue faire l’ascension du Taillon, à l’époque où la foule n’était pas. La seconde fois, le mois dernier après avoir parcouru la Vire d’Escuzana et la troisième fois, ce dimanche 13 août. Je n’aime pas particulièrement ce chemin fréquenté donc le sol s’érode sous nos pas. Un jour, je l’imagine aménagé pour que l’on puisse encore venir dans cette fente qui sépare la France de l’Espagne.
De la Brèche de Roland à Gavarnie
Nous descendons jusqu’au refuge, puis vers la cascade que j’évite en suivant les indications d’espagnol et de C. en contrebas. Nous avons plus de 1 700 m de dénivelé négatif devant nous. Je ne sais honnêtement pas comme mon corps tient encore debout. Nous pensions descendre par l’échelle des Sarradets en trois jours. Finalement nous emprunterons la vallée des Pouey Aspé, en suivant le panneau qui indique Gavarnie sur la droite. Contente d’échapper au col des tentes, nous nous engageons dans cette vallée sauvage où il n’y a plus personne. Cela nous change du parc national d’Ordesa, malheureusement blindé en ce milieu d’été.
Dans la descente, je recroise le guide et sa compagne. Ils n’ont pas eu la vue escompté en haut du Mont Perdu. Ils me racontent que ce que nous avons fait en deux jours, eux le font en une seule journée, mais beaucoup moins chargé. Je les laisse passer devant au pas de course et je maintiens l’allure pour suivre C. Le sol ne glisse plus et mes pas s’accélèrent, prêts à courir après avoir avalé tant de dénivelés et de kilomètres.
A la vue de Gavarnie loin de la foule, j’ai envie de planter ma tente là et de prolonger encore ce moment de béatitude que me procure la montagne. Sauf que ma tente est dans le coffre de mon compagnon d’aventure, qui ne l’entend pas de cette oreille. Après plusieurs tentatives à le convaincre, lui promettant marmottes et merveilles, je finis par abdiquer, bien trop contente d’avoir réussi cette belle boucle que je ne pensais accessible en bonne compagnie.
De Tuquerouye au Mont Perdu, on aura rejoint la brèche puis Gavarnie. Une de mes plus belles et dures aventures, promesse d’un boost de confiance et de lâcher prise.
Updated on décembre 29, 2024
Le pic de Madamète en boucle au départ de Tournaboup
Lors de ma traversée des Pyrénées via le GR10, j’étais passé par le col de Madamète sans en gravir le pic. Alors lorsque l’opportunité se présenta, je reprenais le chemin que j’avais pris un an plus tôt, en sens inverse pour aller gravir le Pic de Madamète. Une aventure d’une journée aux paysages splendides.
De Tournaboup à Aygues-Cluses, via le GR10
Garés au parking de la station de ski de Tournaboup, nous regardons le ciel perplexe. Il fait froid, le brouillard est là et la bruine a pris place. Est-ce que les prévisions météos étaient incorrectes ? Je regarde à nouveau, ils ont bien prévu du soleil. Je me dis qu’on passera peut-être au-dessus des nuages lorsque nous commençons à marcher frigorifiés. Une amie vient de me proposer de partir en festival de salsa, ai-je vraiment envie d’emprunter à nouveau le GR10 ?
Je ferme mes pensées et fais connaissance avec les autres randonneurs qui m’accompagnent. Je me souviens très bien du chemin. Nous ne voyons pas grand chose à travers les nuages, mais les balises blanches et rouges ont un doux goût familier. Nous longeons le ruisseau dets Coubous, puis celui d’Aygues-Cluses. De cette partie du GR10, j’en garde un incroyable souvenir. Celui d’une adulte qui regarde avec ses yeux d’enfants, les bosquets, les herbes vertes claires contrastant avec le ruisseau étincelant sous le soleil, imaginant une fée sortir à chaque instant. Aujourd’hui cependant, la vue est bouchée. On devine légèrement la féérie d’antan, tandis que le soleil essaie d’émerger.



La conversation fuse tandis que nous atteignons le nouveau refuge d’Aygues-Cluses. Je l’avais aperçu en construction l’été passé et je ne savais pas trop quoi penser de ce projet. Le refuge permet de faire plus facilement le tour du Néouvielle, évitant peut-être les bivouaqueurs intempestifs, ceux qui ne respectent rien. Et en même temps, cet endroit semblait encore sauvage lorsque je l’avais traversé, profitant de la petite cabane adjacente en comité réduit et sympathique. Heureusement la cabane est encore là, et je suis ravie de retrouver celle qui a marqué mon GR10.
Il est 11h et j’aperçois en contre-bas des campeurs qui font leur toilette, tente encore montée. Je râle… mais je sais pas quelle est la règlementation exacte de ce côté. Mes compagnons de marche me mettent le doute. En tout cas il m’est impossible de prendre le lac en photo sans des mecs à moitié à poil devant… et ça, ça me fout en rogne.
D’Aygues-Cluses au Pic de Madamète
Je décide de garder des forces pour le sommet. La pente se raidit légèrement et nous avançons sur le chemin bien tracé. Je retrouve les doux lacs de Madamète vers lesquels j’avais opté pour une pause déjeuner sous les orages menaçant l’été dernier, puis le laquet, avant de m’engager sur le pierrier nous menant au col. Il y a du monde cheveux au vent. Alors que les autres randonneurs prennent une barre, j’avance pour ne pas prendre froid vers le sommet.
Le sentier est bien visible et nous ne sommes pas les seuls à l’emprunter. Une première grimpette vers la droite, puis on bifurque légèrement vers la gauche pour s’engager sur de courts lacets. Le terrain est usé et glissant, et les gens qui descendent semblent hésiter un instant. Une fois passés, je prends de l’élan pour ne pas me retrouver à piétiner dans le sable et le sommet est finalement là, après une courte grimpette.



La vue à 360° est splendide. Je reconnais le lac d’Aumar et celui d’Aubert, où j’avais dormi sur l’aire de bivouac pour monter le Néouvielle. Puis mon esprit vogue avec nostalgie, dans les souvenirs de randonnées presque lointaines, à l’image du Turon de Néouvielle en hivernal et le refuge de Packe. J’entends alors quelqu’un parler du Vignemale, et cette coupure s’offre comme la promesse d’une ascension prochaine.
On restera deux heures au sommet, le temps qu’une fille qui avait raté le départ nous rejoigne et finisse la journée avec nous.
Du Pic de Madamète à Tournaboup, via le lac d’Ets-Coubous
Pour mon plus grand bonheur, nous faisons une boucle. Nous redescendons jusqu’au col de Madamète avec la plus grande des attentions, puis nous bifurquons à gauche sur le sentier menant jusqu’au lac de Tracens. Les nuages qui nous avaient quitté à Aygues-Cluses recommencent à jouer avec le paysage.



Nous poussons jusqu’au lac de la Jonquère jusqu’à rejoindre celui dets Coubous dans le brouillard total. L’humidité ambiante rafraichit nos corps gorgés de soleil tandis que nous traversons le barrage, devinant au loin la silhouette de randonneurs inconnus. A partir de la cabane, les brebis nous rejoignent et descendent en notre compagnie, bêlant ardument au passage. Enfin nous retrouvons le GR10 matinal, puis la piste pour clore cette journée, finalement ensoleillée, autour d’un verre bien mérité.
Updated on décembre 29, 2024
L’ascension du Balaïtous, un sommet mythique des Hautes-Pyrénées
Le Balaïtous. Un nom qui m’a été prononcé un jour comme une promesse d’aventure lointaine. Un sommet inaccessible qui ne serait qu’un rêve en pays Toy. Et puis un jour, on en parle à un ami et ce doux nuage devient une rude épreuve. On devait en faire le tour mais les refuges étant complets, on se limitera à l’ascension du Balaïtous. Et quelle montée !
De Arrens-Marsous au Larribet
Nous prenons la route au départ de Toulouse, avec deux covoitureurs qui ont décidé de faire la même ascension que nous. Sauf qu’eux souhaitent rejoindre le sommet de 3 144 m dans la journée.
Après plus de 2h de route, nous voilà à nouveau au cœur du Val d’Azun, cette vallée que j’aime tant pour y avoir vécu et en avoir fait le tour à pied. Nous montons jusqu’au Plan d’Aste, où nous laissons la voiture et les gars qui partent devant nous. Nous montons tranquillement avec mon co-équipier du jour pour rejoindre le refuge du Larribet.



A gauche de la Maison du Parc, nous prenons la direction du lac de Suyen, puis vers la cabane de Doumblas. Le sentier est boisé et nous apprécions la fraicheur des arbres en ce 14 juillet 2022. Je n’aurais pas aimé me retrouver sur les gros cailloux sous 30°C pour faire l’ascension du Balaïtous dans l’après-midi. Nous arrivons au refuge assez tôt et profitons d’une belle pause en montagne avant le diner du soir.
Ascension du Balaïtous au départ du Larribet
Du Larribet aux lacs de Micoulaou
Le jour se lève à peine lorsque nous sortons du refuge. Nous ne sommes pas les premiers et voyons quelques personnes prendre la tête munies de leur lampe torche.
Nous nous dirigeons vers les lacs de Batcrabère, sur un sentier bien marqué, avant de remonter au dessus du lac inférieur que l’on peut admirer sans vraiment s’attarder. Puis on continue vers les lacs de Micoulaou, avant de bifurquer vers la droite… un peu trop.
Devant nous des éboulis et un amas de grosses pierres à escalader. Nous suivons tant bien que mal les cairns qui sont posés ça et là. Je n’aime pas les gros pierriers. Mon compagnon de route avance et je sens déjà qu’il s’impatiente. J’avance tant bien que mal. Je n’ai pas le contrôle sur l’itinéraire. Les gens ont longtemps tracé devant et ceux qui étaient derrière nous, ne sont plus en vue.



Au bout d’un moment, G. m’annonce qu’on s’est planté de chemin : « on est trop parti vers la droite « . Je ne sais plus si c’était vers les Passes de la Barrane ou carrément vers le Port de Lavedan. Mais nous venons de nous rajouter une heure de montée dans des grosses pierres mal agencées. G. me propose plusieurs fois de faire demi-tour. Je pense pourtant avoir le niveau mais le manque de randonnées récentes me fait douter. Je suis assez fatiguée par ce gros pierrier, mais nous décidons de continuer malgré tout.
Des lacs de Micoulaou à la Grande diagonale
Nous bifurquons sur la gauche pour tenter de rattraper le chemin menant vers la brèche des ciseaux. J’avance à mon rythme et je sens G. désemparé. Nous rattrapons finalement ceux qui étaient loin derrière nous le matin-même et continuons notre avancée vers la brèche. Encore des cailloux, toujours des cailloux. On finit par s’approcher doucement de cette ouverture dans la roche, alors que la pente s’accentue. Le sentier glisse sous nos pieds, puis ce sont nos mains qui nous permettent d’accéder au côté espagnol.
On retrouve les éboulis et je suis presque contente d’échapper aux mini graviers, ceux qui vous font glisser et donnent la sensation de marcher sur du sable, pour retourner dans des blocs plus stables. Dans ma tête une seule chose : ne pas repartir sans avoir gravi le sommet.
Nous passons rapidement l’abri Michaud pour nous engager sur la Grand Diagonale. Je l’appréhendais un peu, mais j’avais lu qu’elle était plus impressionnante qu’en réalité. Devant la montée, je suis sereine et à deux doigts de l’objectif. Je reprends confiance et monte en tête, profitant de la vue splendide lorsque je me retourne pour attendre G. Je balaie rapidement ma petite voix qui me dit « la descente ! Oh punaise, cette descente ! ». Je sais qu’elle va s’annoncer compliquée. Mais une chose à la fois… l’objectif immédiat étant de faire l’ascension du Balaïtous.
De la Grande Diagonale à l’ascension du Balaïtous
Arrivés en haut de la grande diagonale nous croisons les covoitureurs de la veille. Ils n’ont pas très bonne mine. Heureuse d’être arrivée au bout de ce que j’appréhendais, je leur demande si on y est presque. Et ils me répondent déconfis « oh que non ! ». Je ne comprends pas tout de suite. Ils ont eu tellement chaud lors de leur ascension du Balaïtous, qu’ils ont apparemment bien galéré pour l’atteindre et ne sont pas très encourageant.



Nous les quittons tout de même confiants. Mais au bout de quelques minutes, nous commençons à chercher le passage censé nous emmener au sommet alors que nous nous trouvons face à un mur. Nous ne sommes pas les seuls à hésiter. Nous tentons une grimpette d’un côté, puis de l’autre. J’assure à mes compagnons de route qu’il ne faut pas aller complètement sur la gauche vers la brèche des isards, même si soudainement c’est le sentier qui nous semble le plus facile. Heureusement certains randonneurs redescendent et nous indiquent le chemin. En regardant dans leur direction, je me demande comment ils ont bien pu passer par là.
Moi qui ait fait de l’escalade seulement deux fois dans ma vie en Australie, je ne suis pas confiante à grimper avec les trois hommes qui m’accompagnent à ce point de l’aventure. L’un d’entre eux n’ont plus, alors on s’encourage comme nous le pouvons. J’essaie à nouveau de ne pas penser à la descente. Le chemin n’est pas sûr mais nous avançons jusqu’à retrouver un semblant de passage. Je regrette de ne pas avoir pris un casque. Heureusement nous ne sommes que quatre à ce moment-là.
Finalement ça monte bien. Le mur impressionne mais les pierres sont là pour que nous posons les pieds. Nous arrivons enfin sur la crête et au sommet ! Certains ont déjà fini de manger et nous félicitent pour notre avancée.
Retour au Larribet
Soudain, G. se remet à stresser alors que de mon côté je relâche tout : la pression, la peur, le dénivelé avalé. Je réalise que j’étais partie trop confiante. Après un beau COVID, trois semaines à Madagascar et un mois à combattre le zoo que j’ai ramené du pays (vous êtes, sans aucun doute, ravis de le savoir), ce n’était pas très judicieux de ma part de me lancer dans une telle aventure. Je n’avais pas randonné depuis longtemps et mon corps n’était pas en forme. Et pourtant il me criait d’y aller et jusqu’au bout !
Je m’assoies donc pour profiter de la vue et G. m’annonce que nous n’avons pas le temps.
– Comment ça ? Je peux manger quand même ?!
– Ben oui, mais on ne va pas rester longtemps au sommet.
Il est seulement 13h. Je ne comprends pas. Mon esprit n’est plus là. Je me rattache à la vue splendide et à mon déjeuner. J’en ai plein les pattes. J’aimerais bien me poser, surtout que je sais ce qui nous attend.
Mon déjeuner avalé, je récupère toutes les émotions de G. Merci l’empathie et l’hypersensibilité ! C’est déjà assez compliqué de gérer ses propres sensations dans ces moments-là, alors quand je ne peux pas ne pas ressentir celles des autres, cela devient difficile. Je prends pourtant sur moi et j’acquiesce quand G. me dit qu’il est temps de décoller. Ceux arrivés avant nous sont encore au sommet à profiter de la météo splendide et du panorama à 360°.


Nous désescaladons ce mur qui nous semblait infranchissable à l’aller pour paraître plus simple à la descente. Je prends mon temps et nous arrivons devant la Grande Diagonale. J’avance à petit pas et la partie de plaisir commence : du caillou roulant sous les pieds, des genoux en compote et un corps qui fatigue. C’est alors que je me braque tandis que G. est loin devant. La toulousaine que nous connaissions, croisée au sommet, me double : « ah tu as peur ? ». Je reste polie, alors que les gars m’encouragent en me disant que j’ai déjà fait le plus dur.
C’est bien beau tout ça mais mon corps, lui, ne veut plus avancer. G. remonte me voir et je reprends une bouffée de stress et la culpabilité s’installe. Il fait tout ce qu’il peut et je m’excuse de ne pas assurer. Je manque de force, d’énergie. J’avale mes graines couplées de raisins secs et regrette de ne pas avoir pris du sucre instantané. J’en aurais bien eu besoin.
Le mental reprend enfin le dessus. Un pied après l’autre. Mais mon corps n’avance plus. Je force… Ma démarche se métamorphose alors en celle d’un cowboy et pour la première fois, je crains pour ma vie. Pourtant je passerais les heures suivantes à m’excuser et à culpabiliser. G. avance doucement, me regarde désemparé tandis que j’avance un pied après l’autre comme une marionnette désarticulée.
Je suis épuisée et je ne sais pas comment j’arrive à avancer. Dans ma tête tournera en boucle cette phrase : tu peux le faire. Allez, tu as fait le plus dur. Et ce sera comme ça jusqu’au refuge. Il est 19h15 quand nous arrivons. Les gens sont déjà à table. Je trouve la notre et m’installe sans pouvoir dire autre chose que « bonsoir ». Je me concentre sur la soupe chaude qui nous attendait, et même mettre la cuillère dans ma bouche me demande de redoubler d’effort. Au bout de 10 minutes enfin, je me sens reprendre des couleurs et tentait une approche vers mes voisins de droite.
Du Larribet à Arrens-Marsous, après l’ascension du Balaïtous
13h ! C’est le temps que nous avons mis pour faire le Balaïtous. Il n’y a pas de quoi être fier sur une ascension de 8h aller-retour au départ du refuge. On a perdu une heure dès le matin en faisant un détour et mon retour chaotique nous aura mangé tout le reste. Mais je n’étais pas là pour la performance. Et si c’était à refaire, je prendrais tout le temps qu’il me faut au sommet pour reprendre des forces, quitte à sortir la lampe torche depuis les lacs de Batcrabère.
Le lendemain la descente jusqu’au plan d’Aste s’est faite tranquille. Il me suffisait de refaire le plein d’énergie. Je ne suis pas une gazelle mais chacun devrait continuer à son rythme, sans essayer de s’adapter à celui de son partenaire, plus rapide.
Je m’étais promis de ne jamais le refaire. Mais à l’heure où j’écris cette article, la liste de pic s’est allongé et mes pieds sont un peu plus confiants sur des chemins dégoulinants. Et vous, est-ce que ça vous ait déjà arrivé de finir une randonnée sur les genoux ?
